CRISPR-Cas9 Position officielle de l’Académie nationale de médecine sur les modifications du génome des cellules germinales et de l’embryon humains
L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 12 avril 2016, a adopté le texte de ce rapport avec 50 voix pour, 20 voix contre et 14 abstentions.
Extrait (ou télécharger le rapport PDF)
Si éviter de transmettre une pathologie génique à un enfant pourrait constituer une indication acceptable de modification du génome de l’embryon, les conditions sont actuellement loin d’être réunies pour qu’une approche de ce type soit cliniquement envisageable. De plus il existe d’autres moyens permettant aux couples intéressés de réaliser leur projet parental : adoption, don de gamète, accueil d’embryon, tous étant autorisés et couramment utilisés en France.
Si le risque d’un mésusage des technologies permettant de modifier le génome de l’embryon pour choisir les caractères physiques de l’enfant à naitre ne peut être ignoré, la réalisation d’un projet de ce type serait très aléatoire. En effet la plupart des caractéristiques recherchées seraient imprévisibles sur la base d’une simple modification de l’ADN au stade embryonnaire pour plusieurs raisons. D’une part la structure génomique d’un individu n’est pas stable tout au long de son développement. D’autre part l’expression d’un gène est le plus souvent modulée par l’expression d’autres gènes mais aussi par des facteurs épigénétiques et/ou environnementaux. Il n’y a donc pas de lien simple et direct entre la séquence nucléotidique d’un embryon au tout début de son développement et le phénotype de l’enfant qui en sera issu même s’il est indéniable que certains variants pourraient induire des modifications phénotypiques marquées.
L’autre risque serait que des modifications du génome de la lignée germinale soient réalisées pour « améliorer » l’être humain ou « augmenter » ses performances. Cette question, évoquée du fait des possibilités théoriques ouvertes par l’utilisation de CRISPR-Cas9 et autres techniques similaires, s’inscrit en fait dans une réflexion plus globale qui concerne l’évolution de la médecine.
Indépendamment de toute autre considération d’ordre éthique, il parait aujourd’hui inconcevable que les techniques de modification du génome soient utilisées sur l’embryon ou les cellules germinales avec comme perspective de faire naitre un enfant dans l’état actuel des technologies disponibles. Un long chemin de recherche est encore à parcourir et il n’y a pas lieu d’envisager une modification de la législation française concernant l’utilisation clinique de ces techniques.
Les questions éthiques relatives à l’utilisation clinique des technologies susceptibles de modifier le génome des cellules germinales et de l’embryon humain doivent être évoquées dès maintenant, même si cette utilisation est inenvisageable et interdite actuellement. Elles sont de trois ordres :
– Serait-il licite d’intervenir sur un embryon avant son transfert dans l’utérus ?
– L’intervention peut-elle être invasive et modifier le génome de l’embryon?
– Faut-il exclure par principe toute intervention sur l’embryon ayant des conséquences transgénérationnelles potentielles?
Si la possibilité de recourir à une thérapie génique somatique s’est imposée progressivement, Le législateur français a été précurseur quand il a interdit dès 1994 toute intervention ayant pour but de modifier le génome de la descendance humaine. Cette position a été reprise dans la convention d’Oviedo et ratifiée par de nombreux pays.
Aucune des techniques actuellement disponibles ne peut être utilisée, avec toute l’efficacité et l’innocuité requises, pour modifier le génome de cellules germinales ou d’un embryon conduisant à la naissance d’un enfant. Il n’y a donc pas lieu de changer actuellement la législation française sur ce point. Cette position pourra être éventuellement reconsidérée ultérieurement en fonction de l’évolution de l’état des connaissances.
Genome editing : Une conférence scientifique internationale sur CRISPR-Cas9
L’absence d’application clinique ne doit pas empêcher cependant les recherches fondamentales et précliniques dans ce domaine, y compris sur les cellules germinales et les embryons humains, afin notamment de mieux connaitre les mécanismes régulant la gamétogenèse et le développement précoce de l’embryon, ainsi que leurs anomalies. Elles devraient donc être autorisées et soutenues quand elles sont scientifiquement et médicalement pertinentes.
L’utilisation clinique éventuelle de ces nouvelles technologies, innovations parmi d’autres, s’inscrit dans un mouvement évolutif de la médecine dont les enjeux ne sont pas que techniques ou médicaux mais impliquent aussi des choix éthiques et sociaux. Dès à présent, il est nécessaire d’affirmer que ces nouvelles technologies ne doivent pas être mises au service d’un eugénisme programmé.
L’Académie nationale de médecine recommande :
– le maintien de la législation actuelle interdisant toute intervention sur la structure de l’ADN ayant pour conséquence de modifier le génome de la descendance ;
– le développement de la recherche utilisant les technologies permettant la modification ciblée du génome, y compris sur les cellules germinales et l’embryon humain.
– l’adaptation des textes nécessaires au développement de ces recherches en France et en Europe, concernant en particulier l’interdiction de créer des embryons transgéniques, étant entendu que les embryons ainsi modifiés ne donneront pas lieu à un transfert dans l’utérus en l’état actuel des connaissances et de la législation ;
– l’ouverture d’une réflexion pluridisciplinaire sur les questions posées par les techniques pouvant modifier de manière ciblée le génome germinal et embryonnaire, ce sujet devant être traité dans le cadre d’un débat plus large portant sur l’ensemble des technologies et interventions médicales réalisées lors de l’assistance médicale à la procréation et pouvant avoir des conséquences sur le génome des enfants à naitre et éventuellement sur celui des générations suivantes.