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Pourquoi le verdict sur les brevets CRISPR n’est pas terminé ?

Des recours juridictionnels en expérimentations en cours, l’histoire expliquant qui possède les droits relatifs à l’édition génétique par CRISPR–Cas9 est loin d’être finie

Le US Patent and Trademark Office (USPTO ou bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis) a rendu un verdict clé cette semaine dans la bataille concernant les droits de propriété intellectuelle associés à la technologie potentiellement lucrative d’édition génétique par CRISPR-Cas9.

L’USPTO a statué sur le fait que le Broad Institute de Harvard et le MIT à Cambridge pouvaient garder ses brevets sur l’utilisation de CRISPR-Cas9 sur des cellules eucaryotes. C’était un coup dur pour l’Université de Californie à Berkeley qui avait déposé ses propres brevets et espérait que ceux de Broad soient rejetés.

La bataille remonte à 2012, lorsque Jennifer Doudna à Berkeley, Emmanuelle Charpentier, alors à l’Université de Vienne, et leurs collègues, ont mis en évidence comment CRISPR-Cas9 pouvait être utilisée pour couper avec précision de l’ADN isolé. En 2013, Feng Zhang du Broad Institute de Harvard et ses collègues – ainsi que d’autres équipes – ont montré que CRISPR-Cas9 pouvait être utilisée pour éditer l’ADN de cellules eucaryotes de plantes, de bétail, et d’humains.

Berkeley a déposé un brevet plus tôt, mais l’USPTO a reconnu les brevets du Broad Institute en premier – décision qui a été maintenue cette semaine. Ce jugement implique de gros enjeux. Les propriétaires de brevets clés pourraient tirer des millions de dollars des applications industrielles de CRISPR-Cas9. La technique a d’ores et déjà donné un coup d’accélérateur à la recherche en génétique, et des scientifiques l’utilisent pour développer des animaux d’élevage résistant à certaines maladies ainsi que des traitements pour les maladies humaines.

Mais la bataille pour les droits de brevet de la technologie CRISPR est loin d’être terminée. Voici quatre raisons qui expliquent cette situation :

1. Berkeley peut faire appel de cette décision

Berkeley dispose de deux mois pour faire appel de la décision de l’USPTO, et il y a de fortes chances qu’elle le fasse. Une question clé est dans quelle mesure Berkeley a confiance dans le fait que ses propres brevets, une fois accordés, puissent couvrir les applications les plus lucratives en matière d’édition génétique chez les cellules eucaryotes, telles que générer de nouveaux végétaux destinés à l’agriculture ou encore développer des thérapies humaines.

La victoire de Broad est due à une différence essentielle : ses brevets précisent que CRISPR pourrait être adaptée afin d’être utilisée sur des cellules eucaryotes. Les brevets déposés par Berkeley n’ont pas précisé ce point. L’USPTO a ainsi donné droit à Broad en expliquant que les brevets de ce dernier n’interféraient pas avec ceux de Berkeley et qu’ils pouvaient, par conséquent, être reconnus. L’équipe de Berkeley a rapidement réagi, dès l’annonce du verdict, arguant que son brevet (si ce dernier est reconnu dans son état actuel) pouvait inclure l’utilisation de CRISPR-Cas9 sur n’importe quel type de cellule. Et l’équipe d’ajouter que ceci implique toute personne désireuse de vendre un produit résultant de l’utilisation de CRISPR-Cas9 dans des cellules eucaryotes aurait besoin de contracter une licence d’utilisation auprès de Berkeley et de Broad.

A ce stade, les détails de la décision prise par l’USPTO pourraient affaiblir les chances de Berkeley de renforcer les brevets relatifs aux cellules eucaryotes, ont déclaré des spécialistes des droits des brevets. Par exemple, la plupart des 50 pages de décision de l’USPTO avancent que l’utilisation de CRISPR-Cas9 dans des cellules eucaryotes (décrite dans le brevet déposé par Broad) requiert des inventions supplémentaires à celles décrites dans le brevet d’application de Berkeley.

Donc Berkeley a le sentiment qu’elle doit encore faire appel de cette décision. Et sa propriété intellectuelle fait déjà l’objet de licences d’utilisation par plusieurs compagnies souhaitant déployer la technologie CRISPR-Cas9 dans des cellules eucaryotes. Ces compagnies n’apprécieront sans doute pas d’avoir à payer une licence supplémentaire auprès de Broad pour poursuivre leurs travaux.

2. Les brevets européens sont encore disponibles

Les deux équipes ont déposé des brevets similaires en Europe et continuent de se battre pour ces derniers là-bas.

Une décision en Europe ne suivra pas nécessairement le même processus que celui de l’USPTO, fait remarquer Catherine Coombes, avocat spécialiste des brevets au sein de l’équipe propriété intellectuelle chez HGF à York (UK).

Selon la jurisprudence, l’Office européen des brevets (European Patent Office) pourrait déclarer que la découverte du système global d’édition génétique décrit dans le brevet déposé par Berkeley a été le moteur d’une « motivation suffisante » pour qu’on essaye de l’appliquer à des cellules eucaryotes. Si les juges européens en arrivent à cette conclusion, ils pourraient donc statuer que le brevet de Berkeley englobe les applications de CRISPR-Cas9 sur les cellules eucaryotes.

Cela donnerait un avantage à Berkeley, avantage qui lui manque aux USA. « Le fait que six groupes aient réussi à faire fonctionner CRISPR-Cas9 dans un environnement eucaryote en quelques semaines seulement montre l’ampleur de la motivation dans ce domaine » remarque Coombes.

Malgré tout, il y a peu de chances qu’une solution rapide soit apportée à la bataille qui se joue également en Europe. Coombes estime que les débats pourraient durer encore cinq ans, voire plus.

3. D’autres équipes défendent également les droits et brevets de CRISPR-Cas9

L’attention s’est portée sur la bataille Berkeley–Broad du fait que leurs brevets couvrent un champ d’action particulièrement vaste et qu’ils sont déterminants pour la plupart des applications commerciales de CRISPR-Cas9. Mais, selon l’entreprise IPStudies (à côté de Lausanne en Suisse), il existe 763 ensembles de brevets (groupes de brevets associés) relatifs à Cas9. Parmi ces derniers, certains réclament des droits d’utilisation pour certains aspects de l’édition génétique par CRISPR-Cas9. Et avec le temps, les propriétaires de ces brevets pourraient essayer de faire valoir leurs droits.

Cela n’arrivera peut-être pas jusqu’à ce que les compagnies utilisant CRISPR-Cas9 commencent à faire de l’argent à partir de leurs produits. Alors, n’importe qui possédant un brevet similaire pourrait engager des poursuites en justice pour infraction ou demander des royalties.

Quand ce temps arrivera, il faudra s’attendre à un nombre considérable de plaintes déposées par les propriétaires de brevets, alerte Jacob Sherkow, spécialiste de la propriété intellectuelle à la New York Law School à New York. « N’importe qui, ainsi que ses cousins et petits cousins, affirmera qu’il est intervenu à un moment ou un autre dans l’invention qui a mené au dépôt du brevet de Broad » déclare t’il. « Broad doit se préparer à des années de batailles ».

4. La technologie CRISPR va bien au-delà de ce que les brevets couvrent actuellement

Les chercheurs, qu’ils travaillent pour une structure académique ou pour l’industrie, ont poussé les études sur l’édition génétique par CRISPR bien au-delà du périmètre des brevets de Broad et de Berkeley.

Tous ces brevets impliquant l’utilisation de CRISPR-Cas9 s’appuient sur la capacité de l’enzyme Cas à inciser de l’ADN. Mais il existe des solutions de rechange à Cas9, qui possèdent d’autres fonctions, et qui constituent des moyens de contourner la bataille de brevets dans laquelle sont engagés Broad et Berkeley.

Cpf1 une alternative à CRISPR-Cas9 ?

Parmi ces solutions de rechange, Cpf1, une enzyme potentiellement plus simple à utiliser et plus précise que cas9 dans certains cas. Broad a déjà déposé des brevets relatifs aux applications de Cpf1 dans l’édition génétique, et vendu les licences à la compagnie biotechologies Editas Medicine à Cambridge au Massachusetts (qui a également contracté des licences auprès de Broad pour l’utilisation de CRISPR-Cas9). Si l’on en croit IPStudies, au total, 28 groupes demandent des brevets relatifs à Cpf1, et toutes ces demandes n’émanent pas de Broad.

Des rapports relatifs à d’autres enzymes se propagent. En décembre, des chercheurs de Berkeley ont affirmé qu’ils avaient découvert deux nouvelles alternatives à Cas9, CasX et CasY. Et des chercheurs sont peut-être déjà en train de déposer des brevets sur des solutions de rechange non publiées. En général, l’application d’un brevet aux USA ne devient publique que 18 mois après le dépôt.

Sherkow assimile la situation actuelle à celle qu’a vécut la PCR (polymerase chain reaction, c’est-à-dire amplification en chaîne par polymérase ou réaction en chaîne par polymérase) à ses débuts. La PCR est une technique utilisée pour amplifier des segments d’ADN très rapidement devenue incontournable en biologie moléculaire. Les laboratoires utilisaient initialement une seule enzyme, la Taq1 polymérase, pour mener à bien le protocole. « Maintenant, si vous parcourez le catalogue, il y a pour ainsi dire un entrepôt Amazon de polymérases que l’on peut utiliser en fonction de la réaction particulière souhaitée», déclare t’il.

Les gens associent les aspects commerciaux de CRISPR à cette étonnante bataille de brevets, constate Sherkow. « C’est passer à côté du contexte bien plus général de la situation. »

traduction Virginie Bouetel

Nature doi:10.1038/nature.2017.21510

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