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Le transhumanisme est inévitable

« Le Transhumanisme devient de plus en plus respectable, et le transhumanisme, avec un t minuscule, émerge rapidement au travers du public », rapporte Eve Herold dans son nouveau livre avisé, Beyond Human [au-delà de l’humain]. Tandis que le Transhumanisme avec un grand T est le mouvement militant qui préconise l’utilisation de la technologie pour étendre les capacités humaines, le transhumanisme avec un t minuscule est la croyance ou la théorie que l’espèce humaine évoluera au-delà de ses limites physiques et mentales actuelles, particulièrement au moyen d’interventions technologiques délibérées. En tant que directrice de recherche et de l’éducation des politiques publiques à la Genetics Policy Institute, Herold connaît bien ces territoires scientifiques, médicaux et bioéthiques.

Les mouvements attirent des contre-mouvements, et Herold couvre aussi les adversaires à la transformation transhumaine. Ces bioconservateurs vont de néoconservateurs moralisateurs aux égalitaristes libéraux craignant que ces nouvelles technologies mettent en danger d’une façon ou d’une autre la dignité et l’égalité humaine. « J’ai commencé ce livre en m’engageant à explorer tous les arguments, à la fois pour et contre les augmentations humaines », écrit-elle. « J’ai découvert à maintes reprises dans le processus que les arguments bioconservateurs sont moins que persuasifs ». (Herold cite quelques-unes de mes [Ronald Bailey] propres critiques du bioconservatisme dans son livre.)

Herold commence [le livre] avec l’histoire de Victor Saurez, un homme vivant deux siècles dans le futur qui, alors âgé de 250 ans, à l’apparence et la vitalité d’une personne de 30 ans. Retour à l’époque sombre du 21e siècle, Victor était idéologiquement contre toutes les technologies dernier cri qui permettraient d’allonger artificiellement sa vie. Mais après avoir connu un début précoce d’insuffisance cardiaque, il a accepté de se faire implanter un cœur artificiel permanent parce qu’il voulait connaître ses petits-enfants. Ensuite, afin de ne pas être un fardeau pour sa fille, il a décidé de se faire implanter des puces de vision dans ses yeux pour corriger la cécité de la dégénérescence maculaire. Enfin, il a accepté des traitements intelligents de nanoparticules guidées qui inversent le processus de vieillissement en corrigeant sans relâche l’accumulation des erreurs de l’ADN qui causent la détérioration physique et mentale.

De la science-fiction ? Pour l’instant. « Ceux d’entre nous qui vivent aujourd’hui ont de bonnes chances d’être un jour les bénéficiaires de ces avancées », soutient Herold.

Considérez les cœurs artificiels. En 2012, Stacie Sumandig, une mère de 40 ans ayant quatre enfants, s’est vue annoncée qu’elle serait morte d’ici quelques jours dus à une insuffisance cardiaque causée par une infection virale. Étant donné qu’aucun cœur de donneur n’était disponible, elle choisit de se faire installer à la place le Syncardia Total Artificial Heart (TAH) [cœur artificiel total temporaire de Syncardia]. Le TAH remplace complètement le cœur naturel et est alimenté par des batteries transportées dans un sac à dos. Il a permis à Sumandig de vivre, travailler, et prendre soin de ses enfants pendant 196 jours avant qu’un cœur de donneur devienne disponible. A partir de ce mois-ci, 1 625 TAH ont été implantés ; une personne a vécu avec pendant 4 ans avant de recevoir un cœur de donneur. En 2015, un essai clinique en cours a commencé dans lequel 19 patients ont reçu des TAH permanents.

Herold poursuit en décrivant des recherches innovantes sur les reins artificiels, les foies, les poumons et pancréas. « Les organes artificiels seront bientôt conçus pour être plus durables et peut-être plus puissants que les naturels, les amenant à être non seulement curatifs mais aussi améliorants », soutient-elle. Dans le futur, les gens vont être chargés avec des technologies pour les maintenir en vie et en bonne santé. (Une question troublante se pose : que faisons-nous quand quelqu’un utilisant ces technologies biomédicales choisit de mourir ? Qui serait en charge de désactiver ces technologies ? Est-ce que la loi traiterait la désactivation par une tierce personne comme équivalent à un meurtre ? Dans de tels cas, quelque chose de comparable à la légalisation du suicide assisté pourrait être mis en place.)

Les organes artificiels ont également une concurrence considérable. Herold, malheureusement, ne fait pas état sur les perspectives remarquables pour la culture d’organes humains transplantables à l’intérieur des cochons et des moutons. Tout comme elle ne porte pas beaucoup d’attention aux thérapies utilisant des cellules souches qui pourraient remplacer et réparer les tissus et organes endommagés. Mais de telles recherches soutiennent son point de vue que les biotechnologies, les technologies de l’information et les nanotechnologies, convergent pour produire une pléthore de traitements curatifs et améliorants.

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L’application phare de l’amélioration humaine est l’immortalité – stopper et inverser les handicaps physiques et mentaux qui nous arrivent avec le vieillissement. Herold porte beaucoup d’attention sur le développement de nanorobots qui patrouilleraient le corps pour réparer et enlever les dommages causés par les défaillances de la machinerie cellulaires au fil du temps. Elle croit que la nanomédecine va d’abord atteindre le succès dans le traitement des cancers et puis de passer à guérir d’autres maladies. « Ensuite, si tout se passe bien, nous allons entrer dans le paradigme du maintien de la santé et de la jeunesse pour un temps très long, peut-être sur des centaines d’années », affirme-t-elle. Peut-être parce que la recherche avance très vite, Herold ne dit pas comment l’édition du génome par CRISPR permettra aux futurs gérontologues de reprogrammer de vieilles cellules pour les rendre plus jeunes.

Herold pense que ces révolutions technologiques seront une bonne chose, mais cela ne veut pas dire qu’elle est une Pollyanna. Tout au long du livre, elle s’inquiète sur notre dépendance croissante aux nouvelles technologies et comment elles nous affecteront. Elle anticipe un monde peuplé de robots à notre service pour presque toutes les tâches. Des robots sociaux surveilleront notre santé, nettoieront nos maisons, nous divertiront, et satisferont nos désirs sexuels. Herold met en garde, les utilisateurs isolés avec des robots parfaitement subordonnés pourraient « perdre d’importantes aptitudes sociales telles que l’altruisme et le respect des droits des autres. » Elle demande également, « aurons-nous encore besoin des uns des autres quand les robots deviendront nos nounous, amis, serviteurs et amants ? »

Il y a aussi la question de savoir comment des institutions centralisées, contrairement à des individus responsabilisés, pourraient utiliser cette nouvelle technologie. Vous trouverez derrière beaucoup des améliorations à venir, l’armée américaine, qui finance des recherches pour protéger ses soldats et les rendre plus efficaces au combat. Comme le rapporte Herold, la DARPA subventionne des recherches sur un médicament qui permettrait de maintenir les gens éveillés et alertes pendant une semaine. DARPA est également à l’origine des travaux sur les implants cérébraux conçus pour modifier les émotions. Bien que cette technologie puisse aider les personnes aux prises avec des problèmes psychologiques, elle pourrait également être utilisée pour éliminer la peur ou la culpabilité des soldats. Manipuler les émotions des soldats de façon qu’ils suivent les ordres sans broncher, est éthiquement problématique, c’est le moins que l’on puisse dire.

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Des questions similaires hantent les discussions d’Herold sur ces technologies, comme les médicaments et les implants de neuro-améliorations, qui pourraient nous aider à créer de meilleurs cerveaux. Au travers de l’histoire, l’ultime royaume de la vie privée a toujours été nos pensées cachées. Les proliférations de capteurs neuronaux et des implants pourraient dévoiler/ouvrir nos pensées à l’inspection par nos médecins, amis, et famille – et ainsi qu’aux représentants gouvernementaux et du marketing d’entreprises.

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Pourtant, Herold réfute efficacement les arguments bioconservateurs contre la poursuite et l’adoption de l’amélioration humaine. Une des inquiétudes souvent entendues est que la recherche sur la longévité nous entraînera dans un monde de soins infirmiers à domicile où les gens vivent plus longtemps, mais avec des vies de plus en plus débilitées. C’est un non-sens : l’idée des recherches contre le vieillissement n’est pas de laisser les gens être âgés plus longtemps, mais de les maintenir jeunes plus longtemps. Un autre argument soutient que les technologies transhumaines vont tout simplement laisser les riches devenir plus riches.

Le rapport, rédigé et publié par le Conseil national du renseignement des États-Unis, nous alerte également sur les risques associés au progrès disruptif et au changement de paradigme qu’il devrait induire. D’après le groupe d’analystes, bon nombre de ces technologies d’augmentation ne seront disponibles que pour ceux qui seront en mesure de les payer.

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Ces déséquilibres d’accès à l’amélioration pourraient être à l’origine de violentes turbulences, et de conflits si rien n’est mis en place pour réguler et encadrer les technologies impliquées.

Le risque principal résulte d’une société clivée, à deux niveaux formée d’une part des individus ayant accès aux technologies d’augmentation et profitant pleinement des améliorations et d’autre part, des laissés pour compte technologiques, non augmentés pour lesquels l’écart des capacités se creuse à mesure que le progrès avance. Cette asymétrie n’est pas tenable et nécessitera probablement une stricte surveillance des gouvernements et une régulation méthodique des technologies d’augmentation. La convergence des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’informatique et des sciences cognitives (NBIC) devrait induire des progrès scientifiques collatéraux importants, comme ceux du stockage de l’énergie avec des batteries longue durée, ceux de l’interfaçage biologique-silicium, ou encore ceux de l’électronique biocompatible flexible.

« Nous entrons dans l’ère de transhumanisme, et les nombreuses nouvelles thérapies ciblées contre le cancer vont avoir une incidence sur les prix. Les dépenses de santé vont exploser dans les prochaines années à un rythme de 10 % par an » Nicolas Bouzou.

« Il suffit de jeter un coup d’œil sur les disparités séparant aujourd’hui l’étroite minorité des super-riches et les 95 % de citoyens restant à l’écart du progrès, pour se convaincre que la Singularité promise par Ray Kurzweil et ses disciples, ne sera pas pour tout le monde» JP Baquiast 20/08/2014.

« Une redistribution massive des richesses est la pierre angulaire de l’ordre du jour. Si oui ou non les 1 % qui contrôlent 85 % de la richesse mondiale donneront volontairement leurs milliards est encore à voir. » William Henry, auteur, mythologue d’investigation et présentateur de télévision intervenant sur la chaîne History Channel.

Pierre Concialdi : « L’utopie (le délire ?) transhumaniste peut faire miroiter le mirage d’une vie de cyborg quasiéternelle libérée du travail. C’est un rêve réservé à une minuscule élite d’ultra riches. Pour les autres, le cauchemar continue. »

Herold note que bien que les riches ont presque toujours accès aux nouvelles technologies en premier, les prix baissent ensuite rapidement, les rendant accessibles pour presque tout le monde au bout du compte. Elle est persuadée que la même dynamique s’appliquera pour ces thérapies.

Dans ce cas, pourquoi les implants dentaires sont-ils toujours si chers ?

Les bioconservateurs affirment souvent que les technologies d’améliorations doivent être interdits, car autrement, ceux-ci subiront une irrésistible pression sociale pour les utiliser dans le but de rester compétitif. Herold répond sèchement : «il est de la responsabilité de chaque individu de faire les choix qui lui paraissent bons pour lui. Ce n’est pas la responsabilité de la société de limiter la liberté d’autres personnes de sorte que l’on puisse se sentir bien dans ses choix ». Les bioconservateurs, note-t-elle, « échouent à convaincre sur, pourquoi ceux qui s’opposent aux améliorations devraient être en mesure d’exercer le libre choix, tandis que ceux qui le désirent ne devraient pas. »

Qu’en est-il des préoccupations sur l’authenticité et la déshumanisation ? Ici, Herold déclare : « Rien ne pourrait être naturel aux êtres humains que d’aspirer à se libérer de ses contraintes biologiques. » Herold observe que personne n’a jamais vraiment réussi à sortir une bonne définition de la nature humaine. Alors que nous entamons l’inévitable voyage transhumaniste, elle conclut que « nous pouvons ne jamais voir qui nous sommes aujourd’hui in the rearview mirror, d’un état beaucoup plus avancé que celui où nous nous trouvons maintenant. » Allons découvrir qui nous sommes vraiment.

Traduction Thomas Jousse

Ronald Bailey est correspondant scientifique pour Reason Magazine et auteur de The End of Doom (juillet 2015).

Beyond human: How cutting-edge science is extending our lives, by Eve Herold, St. Martin’s Press