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Quelle médecine pour l’homme augmenté ?

Étude des enjeux philosophiques de l’anthropotechnie. Alexandre Klein, Université d’Ottawa. Paru dans les Cahiers Figura, n°37 « Les frontières de l’humain et le posthumain », 2014, p. 55-71.

Extrait

Le posthumain, cet être humain dont les caractéristiques essentielles n’ont plus rien de commensurables avec celles qu’on lui connaît aujourd’hui, n’est pas qu’un être de fiction, un personnage imaginaire des romans de science-fiction, des nouvelles d’avant-garde, des bandes dessinées ou des films à gros budget. Certes, il n’est pas encore totalement présent en chair et en os, ni même en chair et en métal, mais il n’en reste pas moins un évènement de notre temps. D’une part parce que la fiction participe d’un champ qu’il faut bien qualifier d’imaginal au sens où il ouvre des possibilités concrètes, et d’autre part, parce que sa simple évocation conduit à l’apparition de débats et de prises de position bien réelles, s’ancrant dans notre présent. En ce sens, l’existence même du transhumanisme – ce mouvement militant pour l’avènement du posthumanisme – est là pour nous rappeler que le posthumain n’est pas un mirage et ce bien qu’il se profile à l’horizon de nos regards, quelque peu fatigués, de sujets en mal de notre époque.

Mais ce qui concrétise d’autant plus, pour l’épistémologue, l’actuelle présence du posthumain, c’est la formalisation progressive d’un champ disciplinaire qui lui serait, si ce n’est consacré, au moins proprement corrélatif : la médecine d’amélioration. Cet ensemble de techniques où se mêlent les avancées ou espoirs scientifiques de différentes disciplines serait la nouvelle science de l’homme, ou plus exactement la science de l’homme nouveau. Sous ce vocable sont en effet réunies toutes les pratiques qui aujourd’hui rendent tangibles ou font rêver à un nouvel homme nécessairement augmenté, essentiellement amélioré. Il rassemble ainsi d’une part des pratiques d’augmentation effectives telles que le détournement d’agents médicamenteux à des fins non thérapeutiques – à l’image du Ritalin® ou du Provigil® que consomment largement les étudiants américains pour accroître leurs capacités de révision – ou la construction d’exosquelettes biomécaniques par la Darpa pour permettre aux militaires de surpasser leurs performances humaines. Et il inclut d’autre part des pratiques projectives, comme les études sur le vieillissement que mène Aubrey de Grey en modifiant génétiquement des souris « Mathusalem », ou les travaux de biologie synthétique de Craig Venter. La médecine d’augmentation est donc un champ de recherche multiple, complexe au sens où il est au carrefour de différentes sciences au statut épistémologique divers, mais elle est néanmoins un champ de pratiques tendant à s’affirmer comme un ensemble cohérent dans nos représentations, par le biais du vocable de « médecine ».

Car, qu’on le veuille ou non, la naissance du posthumain sera nécessairement biomédicale. Les avancées du génie génétique, les exploits de l’intelligence artificielle ou les prouesses de la robotique devront toujours se confronter à la matérialité vivante, à la chair sombre et gluante du corps humain pour qu’émerge l’hybride qui engagera notre changement d’espèce. Même si les utopies posthumaines visent à dépasser l’irrémédiable présence du corps dans notre expérience vécue, la lourdeur de sa matérialité dans l’établissement de notre rapport au monde, il n’empêche que le corps est le nécessaire médium de leur réalisation.

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