La notion de dignité humaine est-elle superflue en bioéthique ?
Revue Générale de Droit Médical, n° 16, 2005, p. 95-102.
Roberto ANDORNO
Membre du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO
Chercheur au Centre Interdépartemental d’Ethique des Sciences (IZEW)
Université de Tübingen, Allemagne
Introduction
Dans un article publié en décembre 2003 dans le British Medical Journal, la bioéthicienne américaine Ruth Macklin qualifiait la dignité humaine de « concept inutile » en éthique médicale car il ne signifierait pas autre chose « que ce qui est déjà contenu dans le principe éthique du respect des personnes : l’exigence du consentement éclairé, la protection de la confidentialité des patients et la nécessité d’éviter des discriminations et des pratiques abusives ». Autrement dit, le respect de la dignité des personnes n’est autre chose que le respect de leur autonomie. C’est pourquoi, concluait Ruth Macklin, la notion de dignité pourrait être tout simplement abandonnée sans aucune perte.
Le nombre de répliques que l’article suscita dans les numéros suivants de la revue, surtout de la part de praticiens et d’infirmières, montre bien que le sujet, loin d’être purement académique, touche au coeur de la pratique médicale.
La question est donc bien celle-ci : la notion de dignité humaine est-elle superflue en bioéthique ?
I. Qu’est-ce que la dignité humaine ?
II. La dignité humaine a-t-elle besoin d’une justification métaphysique ?
III. La dignité humaine comme exigence de non-instrumentalisation de l’être humain
Conclusion
Extrait :
La formule kantienne, qui exprime une exigence de non instrumentalisation de l’être humain, est d’une extraordinaire fécondité en matière de bioéthique. Elle signifie, par exemple, que personne ne doit être soumis à des expérimentations scientifiques à but non thérapeutique qui mettent sa vie en grave danger, même si cela pourrait apporter des connaissances extrêmement utiles pour le développement de nouvelles thérapies ; qu’il est inacceptable que des personnes en situation d’extrême pauvreté soient poussées à vendre leurs organes (par exemple, un rein) pour satisfaire aux besoins de leurs familles ; que l’on n’a pas le droit de détruire délibérément des embryons humains à des fins de recherches ; que l’on ne peut pas produire des clones humains ou prédéterminer les caractères d’une personne future au moyen de l’ingénierie génétique juste pour satisfaire les désirs capricieux des parents potentiels. Dans tous ces cas il y a une réification de l’humain et donc une pratique contraire à la dignité humaine.
[…]
Certes, la notion de dignité est incapable à elle seule de résoudre la plupart des dilemmes bioéthiques. Elle n’est pas un mot magique qu’il suffit d’invoquer pour trouver une solution précise aux enjeux complexes de la médecine et de la génétique. C’est pourquoi, afin de devenir opérationnelle, elle a normalement besoin de notions plus concrètes, qui sont habituellement formulées en employant la terminologie des « droits » : « consentement éclairé », « intégrité physique », « confidentialité », « non-discrimination », entre autres.
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