D’ici cent ans, la terre sera le premier bidonville de l’univers
Paradoxal. Voici l’unique adjectif qui me vient à l’esprit pour qualifier les mouvements incohérents de notre civilisation. Il ne passe nul jour sans être informé d’une nouvelle avancée scientifique et technologique majeure. L’intelligence artificielle change radicalement notre mode de vie, les avancées scientifiques transhumanistes re-dessinent l’évolution de l’espèce et l’aube de la conquête de l’univers pointe à l’horizon. Conjointement à ces perspectives merveilleuses, l’Observatoire des inégalités présente un rapport peu reluisant sur l’état de notre société s’y ajoutant une analyse australienne qui prévoit l’effondrement de la civilisation humaine d’ici 2050.
Le XXIème siècle s’annonce à mon sens comme celui de tous les paradoxes et de la négligence aveugle envers notre habitat et nos semblables. Chaque marque de progrès révèle à long terme des effets néfastes et irréversibles sur l’environnement et la condition humaine des plus démunis. Nous nous efforçons d’investir dans des technologies de classe, aujourd’hui accessible à ceux qui peuvent se les offrir, demain à une micro-élite intellectuelle qui pourra cohabiter avec des machines nettement supérieure à l’être humain. Comment notre civilisation est-elle capable de faire preuve de tant de génie, de tant de créativité, tout en démolissant l’essence de notre existence ?
Comme je l’ai présenté dans un précédent article « Le Transhumanisme n’est pas une option », l’évolution de l’espèce telle que Darwin l’avait définie n’est plus suffisante aujourd’hui. Notre environnement n’est pas celui qu’il devrait normalement être, modifié et dégradé par l’intervention de l’être humain. Si nous n’avançons pas dans la direction du transhumanisme pour « hacker » notre évolution, alors oui, notre civilisation s’écroulera prochainement. Cependant, pensez-vous sincèrement que dans les prochaines décennies ces innovations seront accessibles à chacun d’entre nous ? Nous vivons dans des sociétés inégalitaires, alors que le transhumanisme devra être accessible à tous, il ne sera qu’un business de plus réservé aux plus fortunés. Le « Hack » de notre évolution donnera lieu à une nouvelle sélection naturelle, c’est le bouleversement de la théorie de Darwin selon laquelle l’élimination naturelle des individus les moins aptes dans la « lutte pour la vie » permet à l’espèce de se perfectionner. La nouvelle sélection ne sera pas naturelle mais économique.
La conquête de l’univers. Après tout, ne serait-il pas plus simple pour l’humanité de déménager sur une nouvelle planète habitable ? Nous découvrons jour après jour de nouvelles exoplanètes, améliorons notre compréhension de l’univers et avançons à pas de géant dans le voyage spatial. En effet, nous sommes au balbutiement du tourisme spatial avec Virgin Galactic pour se rendre à la frontière de l’espace, Space Adventures pour voyager en orbite autour de la terre ou encore SpaceX et Blue Origin pour un aller-retour terre-lune. Une première étape a été franchie en 2018 avec Yusaku Maezawa, choisi par Elon Musk, pour acheter le premier billet en direction de la lune et être le premier touriste de l’espace d’ici 2023. Cependant, au-delà de l’enthousiasme que peut provoquer de telles perspectives, nous devons évoquer un point essentiel : le prix du billet varie entre 250 000 et 1,8 milliards de dollars. Il n’est guère illusoire de penser que les premiers colons de l’univers seront, une fois encore, le 1% de la population.
L’image du premier bidonville de l’univers présente la place à venir de notre planète si nous persistons dans l’ignorance de l’inclusion et la dégradation de notre environnement. La notion de bidonville distingue l’opulence de la misère, l’ordre du désordre, l’existence de la subsistance, la vie de la survie. La terre sera laissée aux modestes et aux pauvres dans un état d’épuisement général, essorée de toutes ressources sans possibilité d’y échapper. Néanmoins, n’étant pas collapsologue, je crois encore en notre capacité à rectifier le tir. Nous devons multiplier les initiatives autour de l’inclusion, l’accessibilité accélérée des technologies favorisant la protection de l’environnement et l’autosuffisance de chacun.
A l’instar des populations des bidonvilles qui subsistent incarcérées dans un environnement dévasté en contemplant la ville dans d’espoir d’une vie meilleure, demain, beaucoup contempleront les étoiles avec la même espérance si rien ne change.
Fabrice Nabet
Fabrice Nabet est Directeur Conseil et Stratégie dans le domaine de l’innovation. Il accompagne plus particulièrement les entreprises sur les sujets liés à la Data et aux dispositifs digitaux cognitifs. Passionné par les enjeux et impacts des nouvelles technologies sur notre civilisation, il remet sans cesse en question les prospectives concernant l’Intelligence Artificielle et le Transhumanisme. Convaincu que nous vivons actuellement la grande mutation du siècle qui va dessiner l’avenir de l’humanité, il s’attelle à imaginer et proposer des perspectives différentes sur l’usage des technologies.
Plutôt d’accord avec le commentaire de Lame. Mais qui acceptera parmi ceux qui sont aux manettes ( je parle ici des politiques et des multinationales ) de changer de paradigme ? Personne !
Revenons sur terre: Les techniques de terraformation resteront pour longtemps de la science-fiction. En matière de voyage spatial, nous pouvons à peine rallier la Lune. Le développement sensationnel du tourisme spatial ne marque pas l’essor de l’expansion spatiale. Il est donc peu probable que les riches et les puissants optent pour un exode stellaire avant au moins un siècle. Dans l’immédiat, les villes privées actuelles seront remplacées par des bases pressurisées construites sur terre, sous forme de villes sous cloche ou d’îles flottantes.
En l’absence d’Etat mondial ou européen, il appartient à chaque peuple européen d’organiser sa survie. Elle passera par une plus grande autosuffisance permise par l’emploi pertinent des ressources non renouvelables, un développement de l’économie circulaire, un recours maximal aux ressources biosourcées et aux énergies renouvelables, la conduite d’un processus de décroissance des besoins et le protectionnisme. Ce n’est pas la technologie qui crée la menace d’un effondrement mais la dérégulation et des modes d’organisations inadaptés. La vulgarisation de certaines technologies est essentielle mais n’est qu’un des moyens d’application des solutions.
Concernant le transhumanisme, c’est une mouvance ouverte à tous ceux qui aspirent à la mise au point d’une technologie d’augmentation. Il ne tient qu’aux membres de son courant technoprogressiste de faire des propositions concrètes pour garantir aux masses la jouissance d’une telle technologie. Je suppose qu’ils le feront quand elle existera technologie existera. En attendant, veillons à ce que les masses populaires ne soient pas contraints de financer les projets survivalistes des nantis au détriment des projets d’intérêt général.
Naturellement, certains décrèteront de manière péremptoire que nul ne peut survivre à la dégradation de l’environnement sans se transhumaniser. Grand bien leur fassent. Cela ne mange pas de pain. En tout cas, ils prêcheront dans le vide s’ils ne sont même pas capables de décrire concrètement en quoi consiste la transhumanisation. Nous n’allons quand même pas réduire le budget du développement durable et des programmes spatiaux sur base de vagues aphorismes du style « Hacker l’évolution ».