Rapport Mady Delvaux – la révolution industrielle
L’OCDE (1) avait répertorié en 2001 l’existence de 256 codes de conduite émanant d’entreprises individuelles ou de secteurs d’activités (2). Il s’agit de la manifestation du droit souple (soft law) qui a souvent pour objectif d’éviter ou de devancer une législation formelle. En cela, l’initiative européenne de créer une charte éthique sur la robotique présente une originalité, puisqu’elle ne provient pas du monde de la robotique lui-même (3).
Il est urgent et important de créer une structure juridique contraignante avec un recadrage éthique pour notre future vie qui s’engage sur une « révolution industrielle ».
Seulement, la révolution a déjà commencé dans de nombreux domaines :
. automobile autonome > Roborace en Argentine avec les Devbot (4) et Waymo de Google (5),
. emploi > robots pour tâches répétitives et complexes (6),
. armement > drones militaires (7),
. santé > l’IA implantée dans l’univers médical (8),
. vie quotidienne > jeux vidéo, internet, domotique, etc. (9)
Le rapport
Le Parlement Européen a adopté le 16 février 2017 le rapport Delvaux (10), par 313 voix contre 285 et 20 abstentions.
Celui-ci aborde les différentes recommandations et principes à prendre en compte afin d’aboutir à un cadre juridique souhaité par l’Union Européenne dans le domaine du droit civil sur la robotique. Il met l’accent sur les considérations générales concernant les robots : la notion de robot et ses implications, la question de la conscience, les problèmes posés par la responsabilité en robotique et les principes éthiques à développer en robotique.
L’élément phare de ce rapport est la proposition d’une taxe sur le robot qui viendrait supporter le scénario catastrophe d’une hausse redoutée du chômage – le revenu universel.
Enfin, la Direction Générale des Politiques Internes du Parlement Européen a été consultée pour établir une critique sur le rapport dont nous pouvons lire la synthèse :
« La proposition de résolution invite à créer d’ores et déjà un instrument législatif en robotique et en intelligence artificielle qui anticiperait les évolutions scientifiques prévisibles à moyen terme, et qui pourrait évoluer pour en suivre les progrès. » (11)
Un contenu qui amène au débat
À travers les recommandations du rapport sur les futures mesures à adopter pour cadrer nos produits technologiques et débuter l’offensive sur un marché déjà bien investi, nous devinons l’enjeu économique et le risque éthique que cela va engendrer. Le rapport construit une éthique, disposée à admettre, pour le moment, le robot comme une aide à notre évolution, palliant à la pénibilité de notre travail ou encore pansant nos maux : ce sont des arguments qui atténuent une utilité plus dissimulée. Ne mettons pas de côté l’intérêt bien marqué à l’élaboration d’un texte juridique – le programme SPARC (12, 13) nous montre bien dans quel genre de course s’engagent nos politiques pour augmenter la richesse de nos industries en les intégrant à la création d’un nouveau besoin en technologie. Comprenons : l’Europe veut devenir « leader mondial » dans le domaine de la robotique.
En effet, nous pouvons deviner que l’existence d’un tel texte permettrait à l’Europe d’être acteur de cette « révolution industrielle » tout en ouvrant ce marché aux financements les plus divers.
Pour que l’éthique d’une telle implication dans l’avenir de la robotique soit complète, il aurait été juste et responsable d’apporter des « considérations » sur les risques de fragiliser encore plus notre environnement. Mais il est vrai, pour aborder un sujet qui anime les plus sensibles écologistes d’entre nous il aurait fallu un peu plus d’empathie – quelle est la valeur de notre planète au regard du statut juridique de cette manne financière ? Même si le rapport considère l’impact de l’industrie robotique sur l’environnement (14) (seulement 2 paragraphes sur 103) et préconise de développer des moyens pour en « limiter l’incidence environnementale », il reste trop superficiel dans la situation actuelle qui est largement dégradée. Il est donc légitime d’être pessimiste sur les choix futurs des entrepreneurs entre productivité et environnement ; nous avons appris que l’un coïncide difficilement avec l’autre. A noter que la construction de cette technologie impose des ressources en minerais qui s’amenuisent, quand bien même nous surpasserions cette contrainte, détruire les robots obsolètes polluera encore un peu plus notre environnement – à ce jour, nous ne savons toujours pas recycler nos produits technologiques bourrés de terres rares.
De même une porte est entr’ouverte sur la considération à donner une « personnalité juridique » (14, paragraphes AC et 59 c,f) aux robots – ressentez ce frisson d’effroi lorsque Monsieur Robot vous fera un procès pour harcèlement moral.
Il aurait été aussi responsable d’évoquer quelques recommandations sur l’utilisation de la robotique et de l’IA dans les armées mais peut-être qu’il n’est pas utile de cadrer ce périmètre où l’éthique est toute relative. A défaut, vous pouvez toujours vous intéresser à la dangerosité d’une telle évolution, dénoncée par des chercheurs de renom comme Stephen Hawkings, ou des ONG, comme Human Rights Watch dans sa campagne « Stopper les robots tueurs ».
En regardant ce projet d’un peu plus près et avec le degré de dangerosité envisagé, effectivement, il va falloir être réactif sur la constitution d’une loi régissant notre future technologie.
Cependant, et c’est ce qui est peut-être le plus inquiétant, ne perdons pas de vue que nous sommes face à une proposition de résolution parlementaire (l’article 34-1 de la Constitution) et comme l’indiquait Bernard Accoyer (président de l’Assemblée nationale de 2017 à 2012) : « La résolution, c’est pour expliquer. La loi, c’est pour agir ». Ce rapport a donc la structure d’une charte, aussi il faudra patienter avant de voir des mesures se concrétiser. A ce propos, en attendant la constitution d’une loi sur la robotique, eh bien ! Rassurez-vous, Eurobotics (15) use déjà de son « livre vert », une charte sans poids juridique, pour commencer la « révolution industrielle ».
Une prise de conscience
En revanche, nous pouvons trouver une certaine crédibilité à ce rapport. Il essaie d’évaluer l’impact de cette transition vers l’ère robotique sur des points importants, constitutifs de notre société (emplois, médecine, transport, sécurité, recherche, etc), avec des « valeurs humanistes intrinsèquement européennes et universelles ».
En effet, il a une pertinence éthique dans son ensemble grâce à une réelle prise de conscience du devenir de l’humanité puisqu’on incorpore et accepte l’IA et la robotique dans la vie de tous les jours. Qui plus est, tordons le cou aux idées les plus farfelues de ceux qui pensent vivre dans une dystopie orwellienne – il faut être critique et responsable de notre évolution fulgurante même s’il est difficile de sacrifier la pensée darwinienne. D’ailleurs, Laurent Alexandre, qui effectuait une très remarquée intervention au Sénat le 19.01.2017 à propos de l’impact de l’Intelligence Artificielle sur la société et l’économie française (16), peut voir dans le rapport que les sujets de l’emploi et de la formation sont abordés avec une relative lucidité. La charte prépare la population à ce bouleversement même si « le revenu universel » (17) alimenté par une future taxation a succombé à la fronde des politiques de droite qui siègent au parlement de l’Union Européenne.
Gardons les yeux ouverts
A souligner que ceux qui nous procurent si souvent ce goût amer d’une politique détachée du réel au service du pouvoir régalien, des intérêts personnels et financiers, sont aussi les mêmes qui établiront les règles sur une révolution dont ils ne comprennent pas toujours le fonctionnement. Donc, même si leur projet de loi représente une prise de conscience par l’Occident sur la potentielle dangerosité de la robotique et de l’IA, un retard est déjà accusé sur la maturation des esprits pour encaisser ce futur et rapide changement. La vraie prise de conscience devra être faite par l’homme « normal » et il devra établir une position critique pour ne pas être absorbé par un système déshumanisé.
N’oublions pas que de nombreux et brillants fervents du courant transhumaniste s’engouffreront dans cette ouverture pour charrier leurs égos par les idées les plus folles – il va donc falloir souhaiter des politiques tout aussi brillants, et quant à nous, faire preuve d’une incroyable résilience à défaut d’être déjà complètement englués dans l’univers des GAFA (18).
Le spectacle a déjà commencé
Enfin, la motivation première d’un tel rapport est à craindre – devenir leadership dans les domaines de la robotique, l’IA, la NBIC (19), etc. et donc concurrencer des acteurs déjà bien aguerris. Même si une étude sur l’éthique nous garantit un avenir meilleur et sécurisé, il est difficile de croire que tout se passera dans le meilleur des mondes. Gardons le sens critique car l’Europe, la vieille conservatrice, vient d’ouvrir les portes au libre-échange de cette dangereuse « révolution industrielle » – les trois coups retentissent et le rideau s’ouvre…bienvenue dans une nouvelle ère !
Nicolas Bernard
Diplômé de l’École des applications militaires de l’énergie atomique (EAMEA). Après une longue carrière dans les forces sous-marines de la Marine Nationale en tant qu’atomicien, Nicolas travaille comme chargé d’affaires en industrialisation militaire pour le groupe DCNS. Il nous propose des articles d’opinions sur des questions importantes en matière de transhumanisme, post humanisme et d’intelligence artificielle.
Notes :
1) Organisation de Coopération et de Développement Économiques
2) « Responsabilité des entreprises. Initiatives privées et objectifs publics », Rapport OCDE, 2001, p. 5.)
3) Département thématique C : droits des citoyens et affaires constitutionnelles, 4.2. Analyse de la valeur juridique de la charte
4) Futura sciences : Roborace : comment s’est déroulée la première course de voitures autonomes ?
5) Le Figaro Tech & Web : Google ne fabriquera pas sa petite voiture autonome
6) Kuka Robotics solutions d’automatisation intelligentes
7) Air & Cosmos : actualité drones militaires
8) France Science : Comment l’intelligence artificielle révolutionne le monde de la santé américain
9) TPE sur l’Intelligence Artificielle
10) Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL))
11) Département thématique C : Droits des citoyens et affaires constitutionnelles, PE 571.379, p.7, paragraphe 25
12) Commission européenne, programme SPARC : L’UE lance le plus vaste programme au monde dans le domaine de la robotique civile, avec à la clé 240 000 nouveaux emplois attendus
13) site eurobotics : https://www.eu-robotics.net/sparc/ sur la robotique p. 30 à 31)
14) rapport contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)) du 27/01/2017
15) Association du droit des robots : EuRobotics : Livre vert sur les aspects juridiques des robots
16) Impact de l’intelligence artificielle sur l’économie – Laurent Alexandre au Sénat
17) Le Monde : En pleine campagne, Benoît Hamon rabote (puis remet) son « revenu universel »
18) « géants du web » Google, Apple, Facebook, Amazon
19) Nanotechnologies Biotechnologies Informatique et Sciences Cognitives
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