Le transhumanisme, une nouvelle religion ?
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrivait Rabelais, il y a cinq siècles, dans Pantagruel. Nul doute que l’auteur aurait été très inspiré, aujourd’hui, par le mouvement transhumaniste. En effet, quoi de plus pantagruélique que l’appétit de ses adeptes ? Leur gloutonnerie va jusque-là : vouloir rendre l’être humain immortel, omniscient et omnipotent. Las de croquer la vie à pleines dents, les transhumanistes veulent désormais la dévorer jusqu’au trognon.
Au menu de leur banquet, qui n’a rien de platonique : le rajeunissement de nos cellules pour prolonger nos vies et même la « fin de la mort », le remplacement de nos organes par des ersatz synthétiques censés être plus efficaces, l’amélioration de nos capacités intellectuelles et cognitives grâce à des implants cérébraux, une interconnexion permanente entre les humains « augmentés » et une super intelligence centrale qui possèderait l’ensemble des connaissances de l’humanité depuis la nuit des temps et qui, de plus, répondrait à nos besoins immatériels, émotionnels et psychologiques, qui encadrerait nos activités professionnelles et financières, mais aussi nos loisirs, nos déplacements, nos relations, et qui mesurerait nos performances dans tous ces domaines… L’indigestion ? Tout dépend du point de vue. Pour ses apôtres, le transhumanisme n’est rien d’autre que la prochaine étape de l’humanité, incontournable, logique, évidente. Ce qui est certain, c’est qu’il est la prochaine étape du capitalisme et de nombreux investisseurs l’ont compris : Alphabet (Google), Microsoft et Facebook injectent des sommes colossales dans la recherche sur l’intelligence artificielle et les NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Et ces géants de la Silicon Valley ne sont pas les seuls : en Russie, en Chine et en Europe aussi, entreprises et milliardaires de tout bord investissent massivement dans ces domaines, avec toutes les questions qu’un tel engouement peut poser d’un point de vue sociétal. Ou plutôt qu’un tel engouement devrait poser car, pour le moment, les États et les citoyens sont loin de s’être emparés du sujet et c’est tout le problème. Les conséquences de ce projet de société sont innombrables, littéralement. Nous ne pouvons en mesurer la portée aujourd’hui et, surtout, nous n’en comprenons pas réellement les motivations.
Du côté des conséquences, voici un aperçu des questions qui se posent aujourd’hui : dans un monde aux ressources limitées, où trouver les quantités d’énergie et de matières premières nécessaires à cette explosion de la technologie ? Si les transhumanistes parviennent à l’immortalité, comment la croissance de la population mondiale sera-t-elle régulée ? Devrons-nous interdire les naissances ? Comment les personnes qui ne pourront pas « s’augmenter », pour des questions de moyens financiers, pourront-elles rivaliser avec ces « posthumains » sur le marché du travail ? A fortiori quand, parallèlement, se déroulera une robotisation effrénée de l’économie mondiale, réduisant encore le nombre de postes disponibles ? Quid des relations personnelles ? Les humains purement « biologiques » deviendront-ils des sous-citoyens, incapables d’entrer en relation avec leurs congénères hybrides dotés d’une plus grande intelligence, d’une force physique décuplée, d’une meilleure santé et d’une capacité de travail infinie ? L’asymétrie des interactions entre « bio » et « techno » engendrera-t-elle une scission profonde de l’humanité et l’exploitation des uns, abaissés au rang de primates, par les autres, élevés au statut de quasi-divinités ?
Les posthumains, de nouveaux dieux ? Nous touchons là du doigt la question des motivations, voire des fondements de l’idéologie transhumaniste. Au-delà de la volonté d’améliorer la vie de chacun, de la rendre plus riche, plus intense et plus longue, outre les motivations financières, scientifiques et politiques, derrière la façade progressiste et libérale de ce mouvement, réside une croyance qui est avant tout religieuse et qui n’est jamais évoquée : l’athéisme. Le transhumanisme exerce en creux, à travers sa doctrine, un prosélytisme radical. L’illustration la plus flagrante de cette posture réside dans le projet de transférer la conscience humaine dans une machine, autrement appelé « téléchargement de l’esprit ». Ce dessein repose sur la croyance que notre conscience serait une propriété émergente de l’interaction entre les neurones : autrement dit, le cerveau produirait la conscience. À partir de là, il suffirait de copier l’activité cérébrale d’une personne et de la reproduire dans un ordinateur ou dans un corps artificiel pour « ressusciter » ladite personne. Sauf que le postulat d’une conscience émergente du cerveau n’a jamais été démontré et que prétendre le contraire relève de la promotion d’une religion matérialiste qui nie l’existence de l’âme et donc, in fine, de Dieu. Être athée n’est pas un problème, mais promouvoir l’athéisme sans le dire ouvertement, sous couvert de progrès scientifique, en est un. Compte tenu de l’accélération prodigieuse des performances en matière d’intelligence artificielle et des miracles qu’elle pourra bientôt accomplir – omniprésence, omniscience, omnipotence – à travers nos devices ou directement à travers les implants dans notre corps, nous pourrions vite nous retrouver à vivre sous l’autorité d’une divinité technologique et à mourir en elle, pour ressusciter en tant que copie. Une ultime question se pose alors : cette copie de notre personnalité sera-t-elle bien nous ?
Autrement dit, notre conscience actuelle vivra-t-elle réellement l’expérience du transfert et expérimentera-t-elle l’éternité sur un disque dur ? Ou bien allons-nous perdre le lien avec notre âme, qui pourrait être la vraie source de notre conscience selon d’autres croyances, et abréger une vie précieuse au profit d’une éternité factice ? Un Rabelais 3.0 posterait-il aujourd’hui sur son compte Facebook qu’une « science sans âme n’est que ruine de la conscience » pour accompagner la photo d’un chaton s’attaquant à une souris d’ordinateur ? Devant la puissance croissante déployée par la technologie et le pouvoir qu’en retirent ceux qui la contrôlent, rien n’est moins sûr. C’est pourquoi il incombe à chacun de nous, dès à présent, de répondre à ces questions et d’exprimer ce que nous voulons au menu de notre avenir car, plus que jamais dans notre société en quête de sens, la faim justifie les moyens.
Grégory Aimar
Auteur du roman d’anticipation I.AM
Intelligence Artificielle Mimétique – I.AM par Grégory Aimar
Les deux courant sont des religions, l’un construit son paradigme autour d’une hypothétique vie après la vie qui soit meilleure et accessible sous conditions, l’autre accepte son ignorance sur ce sujet, le néant ne délimite que cette ignorance, les transhumanistes ne croient pas au physicalisme et ses déclinaisons, ils en listent les possibilités et tentent d’en mesurer la pertinence via la science.
Leurs biais transparaissent dans l’estimation de ces probabilités, ils détournent les dernières avancées technologiques en arguments porte étendard, et non sur des études dont l’objet central devrait traiter exclusivement de ces prédictions (modèle statistiques à l’appui), ils en ignorent les cygnes noirs. Les moins naïfs d’entre eux le savent pertinemment, mais éludent la question par intérêts.
Les religions classiques partent du dogme sans jamais le réfuter, mais simplement en changer la surface, l’interprétation, pour rester cohérent vis-à-vis des découvertes scientifiques, le transhumanisme part de la méthodologie scientifique, de l’esprit critique, pour maladroitement en extrapoler plusieurs idéologies dogmatiques assumées et réfutables. Ils préfèrent croire en la possibilité d’une transcendance par la vie telle que l’on connaît.
Oui les deux courant sont religieux ne serait-ce que dans leurs prédictions dont l’étendue sort du domaine scientifique, nul ne sait s’il vaut mieux vivre ou mourir puisqu’il est fort probable que cette question n’ait aucun sens autre qu’anthropocentrée. Tout dépend de votre aversion au risque, de votre appétence à fuir la mort à travers un délire plus ou moins immédiat, dans les courants traditionnels vous jouez à la roulette russe pour atteindre une utopie, dans le courant transhumaniste et toutes ses variantes vous essayez d’en maximiser les probabilités de réalisation par l’introspection et la technique.
La croyance, la foi, met l’être humain en action, même le plus rationnel d’entre nous l’est par volonté et donc par irrationalité, doit-on camper sur des aprioris de moins en moins tenables et dont les sous-soubassements rigides constamment attaquer par les découvertes scientifiques subissent toutes les peines à se renouveler, ou doit-on changer de paradigme pour une religion capable de s’adapter rapidement dans un monde en pleine mutation technologique ? Le chêne ou le roseau ?
Dans cet article je relève cette phrase « ….le transhumanisme serait le vecteur de la promotion d’une religion matérialiste qui nie l’existence de l’âme et donc, in fine, de Dieu.. » Et pourquoi pas ? une mystification en vaut bien une autre. Les religions avec leur bric-à-brac d’âme immortelle, de paradis, d’omnipotence divine n’ ont- elles pas elles aussi, avec les moyens dont elles disposaient, bâties de toute pièce les mêmes rêves destinés à soutenir homo sapiens dans sa quête angoissée et obsessionnelle de sens. C’est peut-être le tour maintenant des technosciences d’écrire les textes sacrés qui vont guider l’humanité pendant quelques millénaires.
Absolument, pourquoi pas ? Mais c’est un débat qui mérite d’être posé compte tenu des conséquences philosophiques, sociologiques, économiques, etc… que cela pose et qui, pour l’instant, ne l’est pas réellement. Et c’est tout l’objet de cet article ! Ensuite, c’est à chacun de faire ses choix : croire que la conscience provient du cerveau et qu’elle est transférable sur un disque dur ou croire qu’elle provient de l’âme et que, par conséquent, les machines n’auront jamais de conscience.
Dire que c’est une nouvelle religion c’est ne pas comprendre ce que religion veut dire. A savoir, une connaissance révélée, non discutable.
On dirait d’un artiste qui ne vit que pour sa passion, que la musique ou la peinture est sa religion ? Pour un scientifique que la science est sa religion ? On peut le dire comme une métaphore certes, mais ce ne serait pas une affirmation rigoureuse dans le sens du terme.
Le transhumanisme est une idéologie, un paradigme, un épistémè. La remise en question de ses valeurs et de ses méthodes font partie de ses outils, ce que la religion n’accepterait jamais.
Et la preuve est que dans un site qui s’appelle Transhumanisme, on cesse de le questionner, jusqu’à en mettre en cause la raison de son existence.
Quelle meilleure démonstration d’un épistémè ? Tout à fait le contraire d’une religion.
Outre le fait que, en-dehors des intégrismes, toutes les religions du monde ont toujours été ouvertes au questionnement (les différents conciles et schismes ayant eu lieu depuis des siècles en sont la preuve), la religion de la science existe en effet et elle s’appelle le scientisme. L’existence de discussions autour d’un dogme n’a jamais empêché qu’il devienne une religion… La preuve : https://www.24matins.fr/way-of-the-future-nouvelle-religion-venere-dieu-forme-dintelligence-artificielle-643095 !
@GA
L’article de votre lien n’est pas une preuve comme vous dites. Ce n’est qu’un avis.
Par ailleurs, le « questionnement » auxquelles les religions se livrent ne concernent que des aspects qui ne remetent pas en question leurs dogmes.
Je salue l’ouverture épistémologique de ce site au point de publier des articles qui cherchent à démolir le Transhumanisme. Sans la moindre contestation.
Il suffit de lire l’article et de voir la vidéo sur « l’homme-Dieu » dont le caractère fallacieux et tendancieux décrédibilise son propre protagoniste.
Toutes les écoles de pensée sont représentées afin d’apporter à nos lecteurs un maximum d’éléments d’information et de réflexion (avis favorables ou non) sur le transhumanisme. Notre ligne éditoriale est donc exhaustive.
L’article sur WOTF, un avis ? Non, l’initiative concrète d’un ancien employé de Google qui a décidé de fonder une religion reposant sur l’IA, illustrant précisément la réflexion proposée dans cet article ! Il n’est pas question de démolir quoi que ce soit ici, mais d’interroger les dérives possibles d’un mouvement dont la puissance est sans précédent. Laurent Alexandre lui-même, pourtant largement favorable au transhumanisme, parle du caractère « messianique » des objectifs de Google et de ses fondateurs dans cet excellent documentaire : « Immortalité, dernière frontière » https://youtu.be/N1F8I98hWKM, que je vous recommande.
Sylvain, vous utilisez des termes savants qui mériteraient d’être mieux définis dans votre commentaire : idéologie, paradigme, épistémè, religion. À ce titre votre prémisse de base au début est fausse. Vous écrivez : »Dire que c’est une nouvelle religion c’est ne pas comprendre ce que religion veut dire. A savoir, une connaissance révélée, non discutable. » Le lien d’inférence est absent et votre conclusion (qui se prêterait bien mieux au dogme) au sujet d’une connaissance révélée et non discutable me laisse pantois. Cela ressemble pour ma part, bien davantage à celle de la non-pensée?
Si vous avez une meilleure définition pour établir la différence entre d’un côté, une connaissance irrationnelle faite de mythes et de superstitions transmises par voie familiale ; et d’un autre côté une connaissance méthodique, construite par l’observation de la nature, par l’expérimentation et par la remise en question de ses propres instruments et conclusions, je veux bien adopter votre point de vue.