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Vers une économie politique des données : le pouvoir à l’aune des data

Pre-print du chapitre publié dans D. Bourcier et P. De Filippi (dir.), Open Data & Big Data. Nouveaux défis pour la vie privée, Paris, Mare & Martin, 2016, p. 245-262.

Benjamin Loveluck, Télécom ParisTech et CERSA (CNRS/Paris 2)

L’extension de l’environnement numérique a entraîné une inflation de traces numériques produites par les individus autant que par les institutions – et, de plus en plus, par les objets eux-mêmes à travers la prolifération de capteurs, de compteurs et de dispositifs « intelligents ». L’afflux de données quantifiées atteint aujourd’hui les proportions d’un data deluge qu’il est devenu trivial de signaler (The Economist 2010). En tant qu’outils d’observation scientifique et de mise au jour de phénomènes inédits, mais aussi comme instruments d’étude de marché et d’intelligence économique, d’analyse et de gestion des risques, de prospective et d’aide à la décision etc., la collecte et l’analyse de ces données a acquis une place prépondérante dans tous les domaines de la vie sociale, économique et politique.

On parle aujourd’hui plus volontiers de « données » que d’« informations », mais cette évolution terminologique traduit avant tout le stade le plus récent d’un processus initié au début du XX e siècle lors du basculement vers une conception mathématique et scientifique de la notion d’information (Aspray, 1985 ; Segal, 2003). Alors qu’elle désignait jusqu’à lors avant tout un fait, une occurrence ou une « nouvelle » susceptible d’être communiquée, l’information devient un matériau universel capable d’être encodé et ainsi quantifié, traité et mis en circulation à l’aide des ressources de la logique mathématique et d’instruments techniques. Derrière cette évolution, l’on peut également identifier un idéal de libre circulation qui a animé toute l’histoire des réseaux informatiques, si bien que l’on peut parler à cet égard d’un « libéralisme informationnel » mu par l’idée que la numérisation et la mise en flux de l’information pourrait, en soi, servir de fondement au « pouvoir d’agir » (empowerment) des individus d’un côté et à l’auto-régulation socio-politique de l’autre (Loveluck, 2015). Ce faisant, de nouveaux rapports de force entre l’individu, la société civile et la puissance publique sont apparus, dont l’économie politique des données – leurs modes de production, d’appropriation, de partage – se présente comme un révélateur. En particulier, l’articulation entre la transparence et l’ouverture d’un côté et la protection des libertés individuelles – notamment la vie privée – de l’autre, qui est au cœur du libéralisme classique, se trouve posée à nouveaux frais.

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Différents ordres de données peuvent être identifiés, que nous examinerons successivement dans ce chapitre. Il peut s’agir 1) de données « ouvertes », en particulier celles qui ont été produites ou collectées par des administrations publiques et qui sont mises à disposition du public (open data) ; il peut également être question 2) de données « massives », produites ou collectées avant tout par des entités privées, en particulier à travers les traces des actions et des interactions réalisées au sein d’un environnement de plus en plus susceptible d’en conserver des enregistrements (big data) ; mais il peut également s’agir 3) de données « fuitées », c’est-à-dire de données personnelles ou institutionnelles à caractère confidentiel qui ont été divulguées de manière involontaire ou illicite (leaked data). L’articulation entre ces trois ordres des données pose un certain nombre de questions nouvelles pour des catégories structurantes du politique, et sur les possibilités émancipatoires autant que les modalités du contrôle. Nous voudrions ici explorer quelques-unes de leurs implications, en revenant sur ce que ces trois ordres des données révèlent des dispositifs de savoir/pouvoir à l’œuvre – une question qui peut se résumer de la manière suivante : en matière de données, qui accède à quoi et avec quels effets ?

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1. Ce que les pouvoirs publics dissimulent, ce qu’il doivent montrer : les dimensions de l’open data
2. Ce que les entreprises et les institutions peuvent voir, comment elles orientent le regard : big data, protection de la vie privée et politique des algorithmes
3. Ce que la société civile dévoile de force : l’irruption des leaked data
Conclusion

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