La fin de l’ironie. Nature, sexe, féminisme et renouveau essentialiste dans le discours transhumaniste
Résumé : Les féminismes, comme d’autres idéologies critiques, ont régulièrement fait l’expérience de leur réappropriation par des dynamiques idéologiques à la portée critique pour le moins douteuse, voire ont été mis au service de volontés de pouvoir, qui relèvent plus du contrôle que de l’empowerment.
À travers cette contribution, je m’intéresse aux modalités de réappropriation du féminisme au service d’idéologies acritiques qui en vident la dimension émancipatrice/de résistance.
Je me préoccuperai en particulier des réemplois du féminisme dans l’idéologie transhumaniste, à travers la place attribuée au naturel, au sexe et à la biologie dans les différents discours transhumanistes. Je souhaite démontrer que cette alliance féminisme-transhumanisme est une construction rhétorique qui cherche à donner une coloration émancipatrice à une idéologie de la toute-puissance.
Le discours du « dépassement du sexe biologique » ne repose en effet pas sur un décentrement du regard, mais sur une compréhension naturalisée / mécanisée de l’humain. Après une présentation des grandes lignes de l’idéologie transhumaniste comme une philosophie dont l’objectif déclaré est de penser l’humain comme technologiquement augmentable, je me concentrerai sur ce que le transhumanisme dit du sexe, du genre et du féminisme, à partir de textes issus principalement du webmagazine Humanity+ et de vidéos en ligne. Je tenterai alors de retracer comment a pu s’opérer cette torsion transhumaniste du féminisme.
Les travaux d’Haraway, et sa figure du cyborg, largement repris dans le corpus transhumaniste, nous serviront de fil conducteur pour proposer que cette réappropriation acritique fonctionne sur un brouillage entre transgression et subversion, ou plutôt sur un remplacement du subversif par le transgressif.
Dans un double discours, le transhumanisme vise un « stade de l’évolution qui n’intéresse pas l’espèce, mais des individus d’élite » (Rastier 2004), tout en annonçant un programme total pour l’humanité au nom d’un transhumanisme démocratique. Il est bien clair cependant que ces « avancées » technologiques ont un coût qui les rend impartageables à l’ensemble de l’humanité.
Si c’est plutôt une bonne nouvelle que de savoir que nous ne serons pas obligées d’être augmenté.es, c’en est une mauvaise que l’on soit repositionné.es dans une échelle où certains le seraient quand d’autres non : « Par comparaison, les humains résiduels ne sont que des sous-hommes » (Rastier 2004). Par ailleurs, la perspective d’un programme total pour l’humanité n’est guère plus réjouissante.
« Le transhumanisme a besoin du cyberféminisme car celui-ci expose de quelle manière les définitions de l’ « humain », et du transhumanisme avec, peuvent réprimer, rejeter et altériser ceux qu’elles prétendent aider. »
« Le projet transhumaniste, comme tout développement technologique, placera de nouveaux outils dans les mains des autorités pour contrôler et réguler la vie. Les théoriciens critiques et féministes ont fait un énorme travail de description de ces systèmes de contrôle et ont démontré la méthodologie pour les changer. Le modèle transhumaniste de changement politique doit sans aucun doute, se construire sur le modèle cyberféministe du changement politique. »
« nous avons besoin d’une philosophie du changement social, une philosophie qui soit basée sur le discours de la dissolution des normes culturelles, qui contredise les standards sociaux, et qui sape le pouvoir hégémonique. »
« De tous les exemples que je pourrais présenter, le plus puissant est celui des transgenres et des intersexes. Ces deux communautés dépendent fortement et sont sujets des institutions médicales, légales et de technosciences qui forment notre société d’une manière qui éclaire sous un jour unique de quelle façon le transhumanisme et le cyberféminisme sont liés. » (Munkittrick 2009)