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Vers une « augmentation morale » du soldat ?   

Les technologies de l’augmentation et sa créature le très fantasmé « super-soldat » vont, dans les années à venir, affecter l’art de la guerre, l’ethos militaire, l’habitus du soldat, l’esprit de corps et la société dans son ensemble (1). En 2017, Vladimir Poutine annonçait l’avènement prochain du soldat génétiquement modifié, un homme qui selon lui « pourra se battre sans peur, compassion, regret ou douleur » (2). Difficile à délimiter, objet de nombreuses discussions, l’augmentation est envisagée ici, de manière restrictive, comme une intervention invasive ayant pour objectif d’améliorer les capacités et performances de l’humain au-delà des standards. Une intervention qui sous-tend un questionnement éthique, juridique et doctrinal. Dans cette perspective, le philosophe canadien Ryan Tonkens envisage, d’ores et déjà, d' »augmenter moralement » des soldats préalablement augmentés physiquement ou cognitivement, afin de tempérer ce nouveau potentiel (3).

Unfit for the future

Cette idée s’inspire des travaux de deux chercheurs de l’Université d’Oxford, Ingmar Persson et Julian Savulescu, qui ont publié en 2012 un ouvrage qui a suscité un grand débat dans le monde anglo-saxon : Unfit for the future. The need for moral enhancement (4). Sans faire explicitement référence aux militaires, les deux auteurs préconisent de contrebalancer notre puissance technoscientifique et biomédicale, et donc cognitive, grandissante par une augmentation morale afin de réduire ce qu’ils appellent la « nuisance ultime » qui risque d’anéantir notre monde (5). Partant du postulat que la morale a une base biologique (6), ils suggèrent l’usage accru de la psychopharmacologie, dont les effets secondaires de certains produits favoriseraient déjà une « conduite morale » comme les anti-libidinaux qui réduisent les pulsions sexuelles anormales en inhibant la testostérone, le disulfirame qui modère l’appétence à l’alcool et ses effets associés, ou encore le propranolol, un bêta-bloquant qui aurait un impact sur les biais racistes implicites, inconscients (7). D’autres substances sont aussi candidates comme l’ocytocine (OT), une hormone qui favoriserait la confiance et la coopération. Il va sans dire que, loin de faire l’unanimité, cette approche est critiquée (8).

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Maintenir l’humain sur le théâtre d’opération

Si Ryan Tonkens adhère aux idées de Ronald C. Arkin, un roboticien américain qui considère que les machines pourraient agir plus éthiquement que les humains sur un théâtre d’opération (9), il s’en démarque en lui reprochant de passer trop rapidement d’une évaluation morale négative du combattant à l’usage de la machine, sans essayer de trouver un moyen d’optimiser « moralement » ce dernier. Pour Ryan Tonkens, l' »entraînement éthique » qui a prévalu jusqu’alors aux États-Unis et au Canada (mais aussi en France), ne suffit plus dans la guerre moderne. La pédagogie doit, selon lui, être complétée par l’augmentation morale pour faire ainsi face au péril de l’augmentation cognitive. Pragmatique, il conclut que l’augmentation morale ne doit pas rendre vulnérable. Interprétée dans le contexte, elle doit être réaliste et tenir compte de l’ennemi (10).

Notes
(1) Jean-François Caron, Théorie du super soldat. La moralité des technologies d’augmentation dans l’armée, Québec, PUL, 2018.
(2) Oli Smith, « ‘Worse than nuclear bombs!’ Putin reveals terrifying sci-fi weapon amid world war fears », Express, Home of the Daily and Sunday Express, 23 octobre 2017.
(3) Ryan Tonkens, « Morally enhanced soldiers: beyond military necessity », in Jai C. Galliott et Mianna Lotz (ed), Super soldiers. The ethical, legal and social implications, Farnham, Ashgate, 2015, p. 53-61.
(4) Ingmar Persson et Julian Savulescu, Unfit for the future. The need for moral enhancement, Oxford, OUP, 2012.
(5) Ryan Tonkens, « Morally enhanced soldiers: beyond military necessity », op. cit., p. 55.
(6) Ingmar Persson et Julian Savulescu, Unfit for the future. The need for moral enhancement, op. cit., p. 109
(7) Terbeck, S., Kahane, G., McTavish, S. et al. « Propranolol reduces implicit negative racial bias », Psychopharmacology, 222: 419, 2012.
(8) Veljko Dubljevic, « ‘Moral enhancement’ is science fiction, not science fact », Scientific American, 30 mai 2017.
(9) Ronald C. Arkin, « The case for ethical autonomy in unmanned systems », Journal of military ethics, Vol. 9, no 4, 2010.
(10) Ryan Tonkens, op. cit., p. 57.

4 Comments »

  1. Mais non, des êtres qui ne ressentiront plus la peur, la douleur, ou la compassion. Cependant, ils garderont une moral irréprochable..

    • Humanoscope, vous n’avez peut-être pas bien lu l’article:
      – Vladimir Putine veut prétendument créer un soldat avec un mental de T800 : pas de peur, compassion, regret, douleur.
      – C’est le canadien Ryan Tonkens qui veut rendre les soldats incapables de commettre des actes immoraux à l’aide d’une médication appropriée.

      Dans le premier cas, ce n’est ni original, ni de bon augure. Dans le second, c’est une approche simpliste et inintéressante de l’application du droit de la guerre.

  2. Donc, le projet est de créer des psychotiques. Le rêve de tous les dictateurs.

    • Sylvain, en supposant que Vladimir Putine veuille effectivement créer ce genre de soldat, est-on certains qu’il soit le seul à s’être engagé sur cette voie?
      Et les USA par exemple?

      Mais la vrai question est comment contrer de tels soldats?

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