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Qui sont les transhumanistes ?

Revue électronique internationale
http://www.sens-public.org
Thibaut Dubarry, Jérémy Hornung – 2008/03

Résumé : Nous avons ici tenté de décrypter la nature, la structure et les modalités d’actions d’une minorité active contemporaine au sein des pays développés. Les individus qui composent le mouvement transhumaniste reflètent admirablement bien, à des degrés divers et variés, la situation conflictuelle qui est celle de l’espèce humaine en ce début de 3ème millénaire confrontée à l’importance croissante prise par les sciences, les techniques et la technologie dans nos vies quotidiennes. Discutant de l’avenir de l’humanité, les transhumanistes questionnent des problématiques essentielles qui mettent progressivement en valeur une nouvelle identité idéale posthumaine où la technique, mise au service de l’humain, restaure la légitimité sociale et cosmologique de celui-ci. 

L’orée du 21e siècle, datée traditionnellement du début des années 1990 avec l’effondrement du bloc soviétique et la fin de la bipolarité, semble devoir exprimer avec force et clarté un besoin de rupture avec le siècle précédent en exacerbant les concepts d’ouverture et de complexité. Bien que la continuité de l’histoire humaine s’impose naturellement au bon sens, chaque période transitoire porte avec elle son lot d’espoirs avoués et de rêves secrets qui relègue le principe de filiation au second plan au profit d’idéaux de renouveau et de changement.

Les technosciences, nées au plein cœur du 20e siècle, apparaissent ainsi sous une nouvelle lumière, celle issue de la révolution Internet et des nanotechnologies tout particulièrement. Le téléphone, l’ordinateur, ou les transports sont quelques uns des symboles les plus marquants de la mutation de grande ampleur qui désormais façonne la civilisation humaine. Or, d’aucuns, à l’image du futurologue américain Ray Kurzweil, théorisent mathématiquement l’accélération du progrès, avec la promesse, à plus ou moins long terme pour l’humanité tout entière, d’un nouvel âge d’or1.

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Il existe en fait tout un courant de pensée contemporain qui partage une Weltanschauung liée à l’avenir de l’humanité. Humains en transitions, humanistes en quête de transcendance, les transhumanistes cherchent à promouvoir l’amélioration de l’homo sapiens sapiens par le biais de la technique. Quelque sulfureuse que puisse paraître cette utopie (?), tant elle évoque inévitablement certaines des pages les plus sombres de notre histoire récente, elle s’est largement développée dans le monde anglo-saxon et rencontre incontestablement sympathies et soutiens à l’échelle internationale, en dépit de sa très faible notoriété en France.

Face à ce qu’il convient d’appeler une nébuleuse – un réseau multiforme, souvent réactualisé, dévitalisé parfois dans certaines sous-branches mais sans cesse élargi et recomposé – nous avons choisi d’adopter une approche empirique de type sociologique qui nous paraît avoir le mérite d’éclairer d’un jour différent les enjeux philosophiques et éthiques soulevés en s’attachant à leurs auteurs et aux individus qui s’en font les relais, évitant de la sorte l’approche classique de la critique frontale des concepts, qui ne seront pas discutés en tant que tels dans les limites de cet article. Posons donc la question : qui sont les transhumanistes ?

L’enjeu est principalement de mieux saisir un mouvement transnational qui se propose de nous guider vers le prochain stade de l’évolution de l’espèce humaine en explorant les virtualités d’un meilleur avenir porté par les avancées des technosciences. Que l’on estime qu’il soit destiné à devenir un courant mainstream de notre civilisation ou que l’on considère au contraire leur existence et leurs agissements comme négligeables, il nous semble que le contexte contemporain qui a vu naître cette mouvance mérite – en quelque sorte rétroactivement – que l’on s’intéresse à l’un de ses acteurs les plus représentatifs.

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Les nouvelles méthodes de soins avancés (thérapie génique, clonage, bionique…) ouvrent la porte au concept d’amélioration (« from healing to enhancing »2) introduisant ainsi encore un peu plus de tension entre deux visions pourtant complémentaires de l’humain : l’humanité qui nous a été donnée et l’humanité que nous avons à créer. L’homme devenu œuvre de lui-même, conçu comme outil et non plus perçu selon un schème kantien, est-il encore un Homme ? Interrogation à laquelle nous ne prétendons pas répondre dans ce court article mais qui préfigure une autre question qui sous-tend notre analyse : comment penser l’Humanisme à l’heure de l’hyperscience, du consumérisme individualiste et de l’économie de marché mondialisée ? Comment appréhender le profil de ces « nouveaux » humanistes ?

La première de nos parties aura pour tâche d’analyser un mouvement en gestation. On tentera de le situer géographiquement et d’appréhender sa base sociologique.

Dans un deuxième temps, nous étudierons les stratégies mises en œuvre par ses membres pour assurer la prospérité et la croissance du mouvement.

Nous nous interrogerons enfin sur la capacité des transhumanistes à se métamorphoser en une arme cognitive.

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