Skip to content

Les recruteurs ont-ils jamais été performants ?

Pléthore d’articles vantent l’intelligence artificielle comme la technologie messianique du recrutement. Pour l’une des professions où l’humain joue un rôle centrale, comment justifier un tel engouement pour l’usage d’un algorithme froid et aseptisé de toute émotion ?

Si vous postulez auprès des grands groupes du CAC 40, sachez que l’intelligence artificielle lit déjà vos CV. Selon une étude de l’Apec, 27 % des entreprises de plus de 50 salariés sont équipées de solutions capables de scanner les candidatures.

Des outils récents, comme celui du chinois Seedlink activement utilisé par L’Oréal depuis janvier 2019, utilisent le Deep Learning pour analyser les réponses écrites des candidats. Bien évidemment, comme toute intelligence artificielle qui se respecte, l’algorithme a besoin d’entraînement, ce sont donc 80 collaborateurs qui ont d’abord renseignés eux-mêmes les données d’apprentissage. Par ailleurs, L’Oréal avait l’année dernière essayé l’agent virtuel Vera de l’entreprise russe Stafory : une intelligence artificielle censée faire passer des entretiens téléphoniques ou vidéos pour analyser les réponses et les émotions des candidats afin de valider ou non cette première étape. Vous l’aurez compris, l’intelligence artificielle a déjà commencé à faire sa place dans les plus grandes DRH malgré son manque de maturité et d’expérimentations réelles à long terme.

Cependant, prenons le temps de replacer l’intelligence artificielle dans le contexte actuel. En effet, faites abstraction de l’usage ultra-marketing des sociétés IT qui parlent de l’intelligence artificielle pour faire le buzz et vendre le mirage de l’intelligence informatique. Occultez les start-ups qui se vantent d’une pseudo intelligence artificielle pour lever des fonds auprès d’investisseurs bercés de sciences-fictions et abreuvé de projets irréalistes à moyen terme sans investissement colossaux. Ignorez les prophéties qui annoncent l’apocalypse ou le monde utopique de l’intelligence artificielle providentielle. Comprenez seulement que l’intelligence artificielle n’est aujourd’hui qu’un algorithme augmenté qui a « autant de bon sens qu’une souris » comme l’a si bien souligné le bien placé Yann LeCun, responsable de la recherche sur l’intelligence artificielle chez Facebook.

Ainsi, dans le cadre préalablement exposé, comment expliquer un tel engouement des recruteurs, qui dans la hâte, mettent en œuvre ces technologies ?

LIRE AUSSI 🔖  Les cinq compétences dont vous avez besoin pour les emplois du futur

Pour ma part, je l’expliquerai par un immense aveu de faiblesse, la reconnaissance de l’échec des multiples méthodes de recrutement qui ont été mises en pratique depuis plusieurs décennies. Tantôt, la méthode a été de favoriser les candidats des grandes écoles et des quartiers favorisés avec la grande injustice sociale qu’on lui reconnaît aujourd’hui. Par la suite, les recruteurs ont préféré faire comme les pays anglo-saxons, des cocktails de tests de personnalité, de logique et de mise en situation digne des plus grands films de science-fiction pour aboutir sur le recrutement d’un profil junior à 24 K€ brut annuel. C’est incroyable la manière avec laquelle les recruteurs se déshumanisent pour atteindre l’industrialisation parfaite de l’acquisition des talents sous couvert de labels absurdes et de storytelling fictifs.

L’intelligence artificielle n’est finalement qu’une suite logique, voire une évolution des méthodes de recrutement modernes. Le fait même que des grands groupes comme L’Oréal se jettent tête la première dans l’utilisation d’outils dotés d’intelligence artificielle démontrent la persistance des recruteurs à ignorer l’essence même de leur métier, à savoir, la relation humaine, la connexion intellectuelle et émotionnelle qu’aucun test ou algorithme ne peut remplacer ou simuler.

En tant qu’entrepreneur et manager, j’ai eu la chance de réaliser nombre de recrutements sur un large éventail de profils : du stagiaire que l’on veut faire grandir dans le cadre de sa formation, au senior à la recherche de nouveaux challenges que l’on veut faire avancer. Le choix de ces profils a toujours été crucial pour la stratégie de mes entreprises et la cohérence de mes équipes.

J’ai moi-même expérimenté pas mal de méthodes de recrutement jusqu’à trouver celle qui ne m’a jamais fait défaut : ignorer totalement les CV en me basant uniquement sur la qualité de la relation humaine qui s’est créée lors des différents échanges. Durant mes entretiens, je n’évoquais ni les formations, ni les certifications. J’abordais les précédentes expériences comme des parcours de vie, pour les candidats sans expérience, nous évoquions l’avenir, les aspirations et les ambitions.

Mes meilleurs recrutements ont d’abord été des belles rencontres sur le plan humain, un partage de valeur et de vision. Autrement dit, mes meilleurs recrutements n’auront jamais été possibles si j’avais été assisté par une machine qui tri des candidatures, analyse des émotions et interprète des réponses écrites à des questionnaires bien trop souvent inapproprié.

LIRE AUSSI 🔖  Les hommes bientôt remplacés par les robots ?

Nous vivons une période où les recrutements par l’intelligence artificielle seront à long terme des échecs cuisants. Les candidats vont essuyer les plâtres d’algorithmes qui manquent cruellement d’expérience. Nous allons sacrifier nombre de candidats sur l’autel de l’apprentissage des machines au détriment des carrières de la future génération. Tout cela pour quelles raisons ? Un manque drastique de performance des recruteurs qui n’ont jamais vraiment réussi à placer l’humain au cœur de leurs missions.

N’oublions pas que les algorithmes ne font que répondre aux ordres des concepteurs et des formateurs avec des travers déjà révélés : la reconnaissance faciale d’Amazon aurait par exemple des tendances sexistes et racistes.

Après tout, si les recruteurs souhaitent confier la perception des valeurs humaines de leurs futurs collaborateurs à un algorithme, ils doivent bien se rendre compte que l’intelligence artificielle miraculeuse n’est pas encore au pas de leur porte.

Fabrice Nabet


Fabrice Nabet est Directeur Conseil et Stratégie dans le domaine de l’innovation. Il accompagne plus particulièrement les entreprises sur les sujets liés à la Data et aux dispositifs digitaux cognitifs. Passionné par les enjeux et impacts des nouvelles technologies sur notre civilisation, il remet sans cesse en question les prospectives concernant l’Intelligence Artificielle et le Transhumanisme. Convaincu que nous vivons actuellement la grande mutation du siècle qui va dessiner l’avenir de l’humanité, il s’attelle à imaginer et proposer des perspectives différentes sur l’usage des technologies.

4 Comments »

  1. En fait, qui utilise les systèmes experts en matière de recrutement? Les grandes entreprises et les recruteurs. Cela s’explique simplement par la quantité de CV à trier et la volonté de limiter les frais salariaux. Les petites entreprises n’ont pas forcément les moyens de faire appel à des moyens aussi sophistiqués…et la nécessité de le faire au vu l’ampleur et la fréquence de leur recrutement.

    Le recours à l’IA (faible) en matière de recrutement n’a donc pas d’autres motivations que dans les autres aspects de l’activité entrepreneuriale.

    Les IA employés à cette fin n’ont aucun pouvoir magique:
    – Elles ne repèrent pas plus facilement les CV bidonnés que les humains. Elles peuvent juste comparer les données du CV aux données dont elles disposent et relever les incohérences.
    – Elles ne sont pas plus impartiales que les recruteurs humains puisqu’elles recopient/appliquent les préjugés exprimés/programmés par leurs développeurs/programmeurs.

    Il n’y a donc rien à attendre des IA, en matière de recrutement humain, si ce n’est une réduction des frais salariaux et une accélération des processus. Néanmoins, on peut se demander quelles sont les véritables motivations de leur développement: Améliorer le recrutement du personnel humain ou servir, sous couvert de cette fonction, de marche-pied technologique vers les IA de sélection de sous-traitants?

    Après tout, quel est le modèle entrepreneuriale qui a le vent en poupe depuis la fin de la 3e révolution industrielle? Ne serait-ce pas « la multinationale à une personne et un euro de capital obligatoire » décrite par Joël de Rosnay dans « L’homme symbiotique »? Dans « Une Brève histoire de l’avenir », Jacques Attali évoque l’apparition d’un certain type d’entreprise « nomade » qu’il ne nomme pas explicitement: les multinationales à faible effectif qui créent des « entreprises troupe de théâtre » en réponse aux demandes d’offre des « entreprises cirques ».

    Comme je l’ai dit dans d’autres messages, l’enjeu de la Quatrième révolution industrielle, du point de vue du secteur privé, est la mise au point et la régularisation future des decentralized autonomous company (DAC) càd des entreprises entièrement automatisées.

    Quels seraient les avantages des DAC pour les bailleurs de fond institutionnels?
    a. Elles pourraient être créées et dissoutes plus rapidement que les entreprises à personnel humain. Et ce sera d’autant plus vrai dans des pays tel que le R-U qui permettent à des cabinets d’avocats de « préfonder » pour les vendre « clé en main » aux entrepreneurs pressés par les circonstances.
    b. Les DAC seraient capables de réponse hypervéloce aux opportunités commerciales révélées par l’analyse du « big data » (vitesse informatique).
    c. Elles n’auraient aucun salarié, ce qui maximiserait les dividendes à verser aux actionnaires: pas de salaire, d’assurance, d’accident de travail, etc…

    Mais pour parfaire le système, la DAC pourrait externaliser un maximum de fonctions pour une durée ad hoc vers les entreprises (d’autres DAC par exemple) proposant les prestations les plus rentables. Les frais de fonctionnement seraient rationalisés aux maximum au profit des actionnaires. Cela suppose la mise en oeuvre des logiciels de sélection adaptés. Des logiciels qui pourraient être extrapolés de logiciels de recrutement, perfectionnés grâce à une expérience opérationnelle.

    D’une certaine façon, la DAC permettrait aux banques de disrupter les entreprises classiques du secteur marchand à la manière des marchands qui disruptés les corporations d’artisans durant la Première révolution industrielle.

    Merci à Fabrice Nabet pour son témoignage.

  2. Bonjour , intéressant ce compte rendu de votre expérience mais qui vous à dit que l’IA fera tout le travail et remplacera l’humain dans la décision finale…? L’IA est un outil de plus en plus puissant d’analyse,qui s’affine, permettant ainsi de gagner du temps et de ne laisser personne sur le bord du chemin car des milliers de candidatures seront étudiées de façon équitable où tous les postulants aurons la même chance et seront tous à égalité ce qui est impossible à réaliser au cas par cas .Puis le tri sélectif se fait pour finalement trouver ceux et celles qui pourront remplir au mieux la mission demandée ;ensuite vient la rencontre avec l’employeur comme cela c’est toujours produit et là commence la relation humaine inévitable et nécessaire ou se tissent des liens de sympathies . Mais dans intervalle que d’économie de temps et d’argent .
    Et pourquoi pas grâce à l’IA donner à ceux dont la candidature n’aura pas été retenue la possibilité d’être orienté vers d’autres secteurs d’entreprises qui recherchent un profil tel que le leur.
    …un petit conseil l’ami voyez plus loin que le bout de votre nez parce que les phrases que vous proférez telle que « nous vivons une période où les recrutements par l’intelligence artificielle seront à long terme des échecs cuisants » pourraient être catégoriquement démenties dans un avenir très proche et votre ton péremptoire pourrai bien vous valoir quelques moqueries …allons ! regardons la lune plutôt que le doigt qui la montre …l’avenir appartient aux audacieux …

  3. Un discours que seul un expert de grande expérience peut énoncer.

  4. L’ia a déjà une vertu cardinale : elle permet de détecter les cvs bidonnés et la blockchain permet de rendre les diplômes inviolables. L’ia permet aussi de détecter bien mieux les problèmes psychiatriques que l’humain. Elle fait peur qu’aux laudateurs des sciences molles.

    PS: il est d’usage d’écrire science-fiction au singulier.
    J’aurais écrit rõle central

En savoir plus sur Intelligence Artificielle et Transhumanisme

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading