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Et si l’IA devenait l’un des facteurs majeurs de la rupture sociale ?

Depuis maintenant plus de dix semaines, nous observons le mouvement social des Gilets Jaunes qui s’est déclenché par le rejet de l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), notamment avec l’intégration de la composante carbone. Alors que les revendications ont nettement évoluées vers des problématiques sociales, économiques et politiques, nous pouvons interpréter l’évènement déclencheur de ce mouvement un peu différemment qu’un simple ras-le-bol fiscal des classes moyennes.

Le gouvernement français a favorisé l’usage des moteurs diesel et la consommation d’énergie fossile associée, à travers la mise en place de nombreux avantages fiscaux. Le nombre de propriétaire, particulier et entreprise, n’a cessé de croître de manière exponentielle jusqu’à atteindre 63,85 % des immatriculations en 2014*.

Aujourd’hui ce sont les classes moyennes qui paient les pots cassés d’une politique qui a fait preuve d’une total incompréhension des enjeux technologiques réels ! Nous sommes dans une situation où le progrès met dos à dos la problématique environnementale, cruciale pour l’avenir de l’humanité, et une situation socio-économique proche de la rupture.

Or ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’un usage irréfléchi et naturellement imposé de la technologie par les puissances politiques et économiques. Les disruptions provoquées par les technologies numériques ont et auront sans nul doute des conséquences fortes sur notre société si nous ne changeons pas notre processus d’adoption de la technologie.

L’actualité de ce début d’année 2019 en France témoigne de ce contexte où le progrès technologique évolue nettement plus vite que sa propre maîtrise et la compréhension de son impact social : d’un côté, les manifestations et revendications persistantes des « Gilets Jaunes » et de l’autre, la communauté French Tech qui présente la plus grande délégation de start-ups au CES (Consumer Electronics Show) à Las Vegas.

Alors que dans les rues, partout en France, on entend scander la demande d’un RIC, la démission du gouvernement, la remise à plat de la fiscalité et j’en passe … à près de 9 000 km de là, nous entendons parler de la santé numérique, la 5G, des véhicules de livraison autonomes et de l’intelligence artificielle.

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De tous ces sujets, l’intelligence artificielle est celui qui aura le plus fort impact sur notre société par le changement de paradigme sur l’emploi et l’éducation. L’intelligence artificielle a déjà commencé a bouleverser notre organisation sociale et les prospectives oscillent entre monde utopique et fort pessimisme.

Comment éviter les pertes d’emplois technologiques

Alors que de nombreux cabinets conseil rassurent les acteurs politiques et économiques de l’impact positif de l’intelligence artificielle sur l’emploi (Etude Gartner Octobre 2018 : à partir de 2020 l’IA créera plus d’emploi qu’elle n’en détruira), nous devons mettre en perspective la réalité sociale actuelle : quel plan de réorientation professionnelle sera prévu pour le chauffeur livreur remplacé par un véhicule autonome ? Quel plan de carrière pour le personnel d’un supermarché entièrement autonome comme Amazon Go ?

Selon une étude de Burning Glass Technologies, l’intelligence artificielle va créer 10 nouveaux métiers. Parmi ces métiers, nous comptons le Data Scientist, Data Designer, Data Architect, Data Steward etc … Tout en étant réaliste, pourrons nous reconvertir le chauffeur livreur ou le personnel d’un supermarché dans ces nouveaux métiers qui seront pris d’assaut par la nouvelle génération « IA Native » ? A court terme, l’intelligence artificielle va détruire plus d’emploi qu’elle pourra en créer et ce que ne prévoit l’étude de Gartner, ce sont les conséquences économiques et politiques de cette période difficile sur le déploiement de cette technologie.

predicts 2018 ai and new futur work

Nonobstant l’impact de l’IA sur l’emploi, l’adoption de cette technologie s’effectuera de manière progressive en commençant par les populations les plus avantagées sur le plan financier et intellectuel. Ce phénomène a été déjà observé lors de la démocratisation de l’ordinateur personnel : le Macintosh 128K a été commercialisé au prix de vente de 2 495 USD à son lancement en 1984. Inaccessible pour la classe moyenne américaine.

J’attire néanmoins votre attention sur le fait que je n’évoque pas ici les assistants vocaux comme Google Home, Alexia ou encore le HomePod d’Apple mais la véritable IA qui se présente sous forme de robots et de domotiques avancées. L’acquisition et la maîtrise lentement progressive de cette technologie participera à accentuer les inégalités entre les classes en fournissant des avantages majeurs sur la qualité de vie et le statut social.

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Le monde s’oriente vers une rupture sociale sans précédent de par la brutalité avec laquelle l’intelligence artificielle va bouleverser notre société, bien plus rapide et inattendu que ce que nous avons vécu jusqu’à présent. Le mouvement des Gilets Jaunes, qui par ailleurs se propage dans d’autres pays comme par exemple en Israël, n’est que le début d’une prise de conscience du déséquilibre social.

Et si afin d’éviter de reproduire les mêmes erreurs qui nous ont menés à la situation actuelle, nous réfléchissions à une manière d’améliorer le processus d’adoption technologique collectif sur des délais courts.

Réfléchir à l’intelligence artificielle pour favoriser l’auto suffisance alimentaire et énergétique des ménages associée à une politique sociale adéquate. Mettre au premier plan l’objectif de rétablir un équilibre social en impliquant l’ensemble des populations et des corps de métiers dans l’usage de l’intelligence artificielle.

Aujourd’hui, nous pouvons considérer l’intelligence artificielle comme une formidable opportunité d’innover différemment et de colmater les fissures qui font vaciller notre société. Pour ce faire, nous devons tout d’abord la démystifier et la partager.

*Source Comité des Constructeurs Français d’Automobiles

Fabrice Nabet

IA et l’avenir du travail


Fabrice Nabet est Directeur Conseil et Stratégie dans le domaine de l’innovation. Il accompagne plus particulièrement les entreprises sur les sujets liés à la Data et aux dispositifs digitaux cognitifs. Passionné par les enjeux et impacts des nouvelles technologies sur notre civilisation, il remet sans cesse en question les prospectives concernant l’Intelligence Artificielle et le Transhumanisme. Convaincu que nous vivons actuellement la grande mutation du siècle qui va dessiner l’avenir de l’humanité, il s’attelle à imaginer et proposer des perspectives différentes sur l’usage des technologies.

7 Comments »

  1. Quand l’IA assumera les tâches répétitives il est évident qu’elle occupera des emplois . Virtuose des algorithmes elle décomposera pour recomposer peinture musique et autres Arts  » à la manière de »! …. Certains ( nes même ) s’effraient ici et là parce qu’elle occupera les maisons closes … la liste est longue des peurs d’un éventuel remplacement.
    Et l’Humain dans tout ça ? À lui de trouver son chemin … vers l’Humanisme ? Il aura plus de Liberté . Quant à l’égalité , compte tenu de ce qu’est sa réalité en ce moment on ne peut qu’extrapoler vers une plus juste répartition si on veut éviter le chaos . Pourquoi serait- elle inévitablement un  » des facteurs de rupture sociale « ? Ne disait-on pas la même chose lors de la  » révolution  » informatique ? Celle qui s’annonce avec le transhumanisme va bouleverser nos organisations sociales qu’il faudra repenser et, en premier lieu : les Pouvoirs !
    Le comité d’éthique a, d’ores et déjà, un sacré travail !!! Je n’ose pas dire un travail sacré à moins de l’entendre au sens laïque du terme . Tous les laboratoires devraient lui être ouverts Tout aussi Bien celui, obstensiblement fermé de la dite » Grande muette  » ???!!!
    Le transhumanisme ne s’arrête pas à la robotisation , que je sache , dans ces perspectives d’avenir où l’Humain pourra gérer non seulement son corps en devenir . On peut imaginer tant d’autres possibilités … pourquoi pas celle d’ agir sur climat ? Soyons créatifs que diable ! Nous allons avoir le Temps et les sous … ou bien alors !!!! ??????
    N’est ce pas un moment , sur la trajectoire de l’Humanité où pour la première fois, la Science rejoint la philosophie ?
    En ce qui me concerne , mon imaginaire a déjà fait entrer dans ma maison celui ( c’est « Il  » lui ayant déjà attribué un nom)… qui pourra gérer , avec plus d’intelligence, ce que je n’aime pas faire , qui me prend du temps, me permettant ainsi d’avoir des activités plus créatives, considérant que ces domaines nous appartiendront en propre, l’affect restant notre apanage ,
    Mais peut être suis- je trop optimiste ?

  2. La civilisation est tout ce qui permet d’accroître la survie et le bien-être du plus grand nombre. Le progrès (ou développement) est la pérennisation ou l’amélioration du niveau de civilisation. De ce point de vue, on ne peut que constater que l’automatisation est très mal gérée par les pouvoirs publics et ne produira des perturbations sans progrès. Analysons la situation pour mieux comprendre les données problème.

    Premier paramètre : les ressources. Les technologies robotique et informatique dépendent de matières stratégiques de moins en moins disponibles et concentrées sur les territoires chinois et nord-coréen. On peut donc s’attendre à un « contracting out » de l’emploi de ces technologies pour cause de pénurie de matières premières, lequel touchera plus durement l’Occident que la Chine et la Corée du Nord.

    Deuxième paramètre : la consommation. L’automatisation du secteur privé permet l’abaissement des charges salariales en échange d’une transformation d’une part croissante des travailleurs-consommateurs en chômeurs-consommateurs ou sans-abris. L’automatisation risque de s’auto-enrayer, faute de trouver assez vite des consommateurs solvables.

    Troisième paramètre : les limites de la technologie. L’automatisation est fondée sur des technologies encore immatures ou trop limitées, forçant les entreprises à osciller entre des tentatives d’automatisation et des reculades. La RPA et la cobotisation ont provisoirement le vent en poupe.

    Quatrième paramètre : l’affaiblissement des démocraties représentatives. Alors que le marché dissout progressivement les pouvoirs publics en Occident (moins de liberté juridique et de budget), elle permet l’émergence d’entité et mouvance plus ou moins hostiles à l’Etat tel que le mouvement NRx en Californie.

    On peut donc s’attendre à ce que ce chaos disloquent les sociétés occidentales en faction plus ou moins rivales :
    – Des entreprises plus ou moins assimilables aux mégacorporations de la littérature cyberpunk.
    – Des villes privées où la production automatisée est axée sur la satisfaction des besoins d’une élite résidente et de leur domesticité.
    – Des groupements de prosommateurs qui satisfont leurs propres besoins vitaux par leur travail, usant d’une technologie plus ou moins avancées.
    – Des masses appauvries recluses dans des bidonvilles.

    Et tout ceci arrivera de manière plus ou moins chaotique, avec beaucoup de pertes dans toutes les couches de la société.

    Evidemment, ce n’est pas une fatalité mais encore faut-il faire d’élaborer et mettre en œuvre un système permettant de concilier les besoins des populations et l’automatisation. Comme je l’ai déjà signalé dans d’autres sujet, si les technoprogressistes ne font pas de propositions, d’autres avanceront les leurs par exemple les transhumanistes d’obédience communistes ou les accélérationnistes.

  3. C’est évident que l’IA va provoquer une rupture sociale, du mécontentement et même de le violence. Les masses se sont toujours opposées au progrès.

    • @Sylvain

      Les masses ne s’opposent qu’aux changement, technologie ou autre, qui portent atteintes à leurs intérêts: c’est l’instinct d’autoconservation. Elles ne s’opposent pas aux évolutions technologiques qui contribuent à leur survie et leur bien-être. Exemple: les nouveaux médicaments.

      Les masses ne s’opposent donc pas aux progrès. Elles sont justes confrontées à des extrémistes, par exemple des partisans de l’ultralibéralisme économique, qui assimilent au « progrès » des procédés nuisibles
      Nuisibles aux droits des masse, par exemple le droit à la vie et le droit à un travail correctement rémunéré qui y concourre.

      L’automatisation actuelle du secteur privé, notamment la mise en œuvre de système expert, ne vise pas plus au bonheur des masses que la mécanisation ou l’introduction d’internet. C’est bien l’action publique qui génèrera le progrès en mettant l’automatisation au service de l’intérêt général ou, au moins, en veillant à ce qu’elle ne soit pas mise en œuvre au détriment des droits.

      Quant à l’idée que toute nouvelle technologie génère forcément le progrès, elle ne se vérifie que lorsque les pouvoirs publics ont réussi à faire leur travail. Rien ne tombe du ciel.

  4. J’adhère au constat qui consiste à penser que l’IA va favoriser la destruction d’un certain nombre d’emplois. L’exemple des chauffeurs livreurs ou des employés de supermarché est flagrant car la reconversion vers des métiers porteurs ne sera pas facile pour tout le monde même si on connaît tous des chauffeurs livreurs ou des caissières diplômées qui faute de trouver un job correspondant à leurs compétences se replient là-dessus; il faut bien vivre. Mais j’ai un peu de mal à voir dans la direction dans laquelle s’engagent les innovations dues à l’IA, les prémisses de quelque chose de plus éthique, plus équitable et plus écologiquement responsable. Sans doute suis-je pessimiste !

    • Marcel, vous êtes lucide, pas pessimiste. Les technologies mises en oeuvre par des entreprises à but lucratifs (et pas spécialement réputés pour leurs scrupules) à pour but la génération de profit. Seul les acteurs engagés dans le commerce équitable et écologique ou inciter à privilégier ce genre d’activité contribueront à une économie plus sociale et soutenable.

      Actuellement, la haute technologie est mise en oeuvre non pour assurer la survie des populations mais pour générer des profits sans considération de leur survie.
      L’automatisation, plus particulièrement, est mise en oeuvre de manière plutôt empirique et inefficace. Et quand elle est correctement mise en oeuvre, c’est au détriment non seulement des emplois mais de la qualification des humains.
      Chaque fois qu’un corps de spécialistes est disrupté par un système expert ou un pack d’algorithmes, le tort fait à la société est double: chômage et dépendance accrue à la technologie pour la réalisation de tâches essentielles rendus irréalisables par les humains.
      C’est d’autant plus inquiétant que la haute technologie impliquée dans ces méfaits ne respecte pas les impératifs de développement durable: elle peut donc disparaître dans les prochaines années, consécutivement à la raréfaction des énergies et matières premières nécessaires à sa mise en oeuvre.
      De précieuses ressources sont employées à la production de technologies ostentatoires futiles au détriment de technologies collectives plus utiles à l’intérêt général. On consacre ainsi plus de ressources à produire des smartphones éphémères qu’à construire les engins spatiaux utiles à la recherche/collecte de matières premières.

      La haute technologie, c’est comme la pharmacopée: elle est utile mais dangereuse si on l’utilise n’importe comment. La haute technologie doit être gérée et utilisée dans le cadre d’une stratégie sion elle n’apporte que des tracas.

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