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Transhumanisme : quel avenir pour l’humanité ?

De ses débuts confidentiels dans la Californie des années 1990 à la profusion d’articles, de livres et de débats, le transhumanisme suscite rejets radicaux ou adhésions extrêmes, de F. Fukuyama le qualifiant d’« idée la plus dangereuse du monde » à ceux qui décrivent ses opposants en « chimpanzés du futur ». Car le transhumanisme, qui entend augmenter les capacités physiques et mentales de l’être humain, allonger considérablement sa durée de vie, n’est pas une simple confiance dans le progrès technologique. Il porte une utopie : le dépassement de la condition humaine.

Étant donnée la place croissante qu’il occupe dans le débat public, une synthèse, accessible à tous et qui fasse le point sans parti pris, s’impose. De l’apparition de l’idée à sa structuration dans le temps, des figures fondatrices aux acteurs d’aujourd’hui, cet ouvrage présente les idées centrales de la pensée transhumaniste, les arguments pro- et anti-, pour permettre au lecteur de se forger son propre avis et prendre part au débat.

Franck Damour est agrégé d’histoire, chercheur associé à ETHICS EA-7446 et membre de la chaire Éthique et Transhumanisme à l’Université Catholique de Lille. Il codirige la revue Nunc.

David Doat est docteur en philosophie, maître de conférences à ETHICS EA-7446 et titulaire de la chaire éthique et Transhumanisme à l’Université Catholique de Lille.

Introduction

Depuis une dizaine d’années, le transhumanisme alimente des espoirs, des craintes et de très nombreux débats des deux côtés de l’Atlantique. Ce courant d’idées entend promouvoir l’usage des sciences et des techniques en vue d’améliorer et augmenter les capacités physiques et mentales des êtres humains, de prolonger considérablement la durée de vie, bref de libérer l’homme des limites de sa condition. Le transhumanisme défend des projets parfois sidérant d’audace, comme prolonger la vie de plusieurs siècles, coloniser l’espace, doter l’homme de capacités sensorielles et cognitives bien au-delà de sa condition actuelle ou encore contrôler son état psychologique par un dopage permanent.

Ces promesses ne constituent pas une simple confiance dans le progrès technologique. Souvent, le transhumanisme est perçu comme une spéculation sur le développement technologique, ce qu’il est, mais en partie seulement. En effet, ces spéculations sur le futur des nanotechnologies, des interfaces homme/machine, du génie génétique, de l’essor des Big data et du numérique sont portées par une utopie : le dépassement de la condition humaine. Le transhumanisme nous appelle à prendre en main notre évolution pour nous libérer de « la loterie génétique », de la mortalité, des limites de nos capacités. Il s’agit ni plus ni moins que de changer l’homme, de révolutionner ses conditions biologiques pour le transformer, bref faire passer l’humanité à une étape nouvelle (et supérieure) de son évolution grâce à un effort technologique concerté et intense. Le transhumanisme se pense comme un mouvement de libération biopolitique, dans la lignée de ceux qui ont marqué l’histoire depuis les années 1960, avec la particularité de ne pas proposer une révolution sociale ou politique mais une révolution technologique qui changerait le corps et, par ricochet, la société et la politique.

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Né à la fin des années 1980, le mouvement transhumaniste a réussi à faire du transhumanisme un courant de pensée, discuté, débattu, scruté dans la plupart des pays occidentaux, au sein d’universités, d’hémicycles politiques, de débats médiatiques. Il est entré dans les dictionnaires et les manuels universitaires, a suscité l’écriture de dizaines de thèses, une abondante littérature, des colloques, des séminaires. Si seulement quelques partis politiques embryonnaires se sont revendiqués du transhumanisme, ses thématiques ont attiré l’attention des dirigeants politiques depuis plus de 15 ans, d’abord aux États-Unis puis en Europe. C’est que le transhumanisme a réussi à inscrire à l’agenda mondial certaines de ses problématiques, son vocabulaire, sa vision du monde : l’homme augmenté, l’eugénisme libéral, le prolongévisme, la colonisation spatiale comme réponse à la crise climatique, autant de thématiques qui ne sont peut-être pas propres au transhumanisme mais que celui-ci porte et, surtout, unifie dans un projet global. Des deux côtés de l’Atlantique, le transhumanisme inspire le travail de think tanks qui entendent orienter la réflexion politique et éthique sur les technologies. Ce travail d’influence passe par des réseaux, des publications, des institutions, des porte-paroles médiatiques. Les transhumanistes annoncent une « révolution technologique » en cours, révolution pour laquelle ils proposent une pensée, une éthique, une psychologie. Aussi n’est-il pas surprenant que le transhumanisme inspire l’action de dirigeants de multinationales qui investissent des sommes considérables dans le développement de technologies correspondant aux utopies transhumanistes, de la conquête spatiale aux transformations du génome. Larry Page et Sergey Brin, Elon Musk, Peter Thiel, Mark Zuckerberg sont les plus médiatisés, les plus puissants sans doute. On peut considérer que l’influence du transhumanisme est devenue majeure au sein de la Silicon Valley et ailleurs, dans les bioindustries comme dans les industries du numérique, notamment au nom de la convergence des technologies.

Mais le singulier utilisé jusqu’à présent ne doit pas leurrer : le transhumanisme n’est pas un mouvement unifié de militants porteurs d’une idéologie entièrement structurée. Ce courant de pensée est un mouvement protéiforme, avec des tendances multiples, pratiquant la controverse et cultivant un libéralisme foncier. Cette diversité des sensibilités se retrouve dans la diversité de ses formes : le mouvement transhumaniste est constitué de réseaux de militants mais aussi de pôles académiques et de fondations, mobilise des entrepreneurs, des ingénieurs, des sociologues ou des biologistes.

Les prises de position radicales – elles ne font pas dans la demi-mesure et elles touchent aux fondements – des transhumanistes ne peuvent que susciter de fortes polémiques. En remettant en question l’idée que l’homme ait une nature définie, qu’il doive respecter les limites physiques de sa condition, que la mort soit un horizon indépassable pour toute construction sociale, le transhumanisme interroge des éléments structurants de l’expérience humaine. Par certaines de ses propositions les plus radicales, le transhumanisme pousse les positions éthiques classiques dans leurs retranchements, les amenant à se positionner en face de pratiques déjà effectives que l’on pourrait rapporter au transhumanisme (comme un certain eugénisme libéral, l’usage de médicaments pour des bien-portants à finalité d’augmenter leurs capacités, etc.). Certains parlent même d’un « transhumanisme ordinaire », d’un transhumanisme qui se pratique sans que le nom soit utilisé, dans les laboratoires et les éprouvettes, mais aussi dans le secret des consciences. La controverse provoquée par le transhumanisme est donc aussi une formidable machine pour penser notre rapport aux technologies, formuler l’implicite, interroger les non-dits et les a priori, sonder les angles morts.

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De tels débats donnent lieu à des prises de position fortes, de part et d’autres, qui souvent peuvent glisser vers la caricature. La rapidité avec laquelle ces débats se sont développés et leur écho médiatique ont favorisé le développement de nombreux lieux communs. C’est à la discussion de ces idées reçues que ce livre veut répondre : quelles sont les origines de ce courant d’idée ? Quelles sont l’ampleur et la nature du mouvement qui le véhicule ? Que veulent les transhumanistes ? Quelles sont leurs valeurs ? Quels sont les arguments de ses adversaires ? Comment, s’il est possible, dépasser les arguments maintes fois répétés et formuler ce qui est en jeu dans ce débat ?

Quel que soit l’avenir du transhumanisme, qu’un mouvement se perpétue ou non, qu’une pensée se structure ou non, que ses relais industriels s’épuisent ou non dans leur quête de l’immortalité ou de l’espace, que se développent des transhumanist studies ou non, le transhumanisme a permis de formuler toute une série de questions sur l’impact des technologies dans nos sociétés. Chemin faisant, en débattant du transhumanisme, c’est de la place que prennent les technologies dans notre vie que nous discutons. Le détour en vaut donc la peine !

Parution le 27 septembre 2018

Sommaire

Petite histoire du transhumanisme
Le transhumanisme est une idée neuve.
Il faut être américain pour croire au transhumanisme.
Le transhumanisme, une histoire de milliardaires.
Le transhumanisme est une nébuleuse.
Nous sommes déjà tous des cyborgs !
La pensée transhumaniste
Les transhumanistes veulent devenir immortels.
Le transhumanisme est un eugénisme.
C’est encore la vieille histoire de l’homme qui se prend pour Dieu.
L’homme augmenté, c’est du transhumanisme.
Le transhumanisme, c’est du libertarisme.
Le transhumanisme, c’est la fin de la morale.
Le transhumanisme, c’est de la science-fiction.
Le transhumanisme dans tous ses états
Le transhumanisme, une stratégie des GAFA pour nous manipuler.
Le transhumanisme est l’idée la plus dangereuse du monde.
Les personnes appareillées en raison d’un handicap préfigurent l’homme du futur.
L’homme d’aujourd’hui sera le chimpanzé du futur.
Une société où l’on ne meurt plus, c’est une société où on ne vit plus.
Le transhumanisme, c’est une religion qui sacralise la technique.

1 Comment »

  1. Avec « Le transhumanisme. Faut-il avoir peur de l’avenir? » de Béatrice Jousset-Couturier, c’est l’un des deux ouvrages de vulgarisation que je recommanderai aux néophytes.

    Rapide présentation des auteurs. Franck Damour est un opposant modéré au transhumanisme. David Doat est un universitaire qui étudie activement le transhumanisme et milite pour son encadrement éthique. Le livre ne verse dans l’hostilité soft de l’essai « Le Transhumanisme, c’est quoi? » d’Anne Lécu, Brice de Malherbe et Dominique Folscheid mais n’encense pas pour autant le transhumanisme. C’est une visite guidée du transhumanisme sur le principe de « Bienvenue en transhumanie » de Geneviève Férone & Jean-Didier Vincent mais expurgé de tout sensationnalisme ou satirisme. Style simple. Ton sérieux.

    Sans avoir la vocation aussi encyclopédique que « Le transhumanisme. Faut-il avoir peur de l’avenir? », cet essai n’en est pas moins une mine d’informations savamment distillées par le bais d’encadrés. Cerises sur le gâteau: La Déclaration technoprogressiste de 2014 est reproduite page 107 à 109 et les traductions françaises correctes des trois premières Déclarations transhumanistes sont fournies en annexe.

    Le grand mérite du livre est de souligner les excès de certains groupes ou thuriféraire du transhumanisme mais aussi des critiques qu’ils suscitent. Si, par exemple, les auteurs condamnent les objectifs mercantiles (parfaitement plausibles) de certains promoteurs du transhumanisme, ils font de même avec ceux qui voudraient mettre les technoprogressistes et technolibertariens dans le même panier. Je ne suis pas moi-même un transhumaniste bien que le transhumanisme soit l’un de mes centres d’intérêt. Etant à la fois un opposant à la persécution des transhumanistes et aux courants extrémistes de leur mouvance, je ne peux que louer non seulement la pondération mais le souci d’équité qui ont guidé leurs plumes.

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