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Le soldat chimique : usage et dérives des psychostimulants dans la Wehrmacht durant la seconde guerre mondiale

« J’exige de vous que vous ne dormiez pas pendant trois jours et trois nuits si cela est nécessaire1. » Général Heinz Guderian

L’éclat aveuglant de la bombe atomique, expression de la physique, a largement éclipsé l’usage de la chimie pendant la seconde guerre mondiale (DDT, gaz, bombes incendiaires)2.

Avec L’extase totale. Le IIIe Reich, les Allemands et la drogue, le journaliste et documentariste allemand Norman Ohler signe un ouvrage grand public qui donne une autre perspective à cette guerre chimique3, celle de l’usage massif par les soldats de la Wehrmacht (par millions de doses) d’un psychostimulant de synthèse, une méthamphétamine nommée pervitine. Une thèse, soit dit en passant, qui ne fait pas l’unanimité chez les historiens4.

Synthétisée en 1937 par Dr Fritz Hauschild, chef du département de chimie de l’entreprise Temmler, cette drogue se répand d’abord dans la société civile, notamment par l’entremise des médecins, pour répondre à un large spectre de demandes : inhibitions, fatigues physiques et intellectuelles, etc… En 1938, elle est introduite dans l’armée par le médecin major Otto F. Ranke directeur de l’Institut de physiologie militaire.

On connaissait le soldat politique fanatisé, on découvre le soldat chimique, grisé, extatique, toxicomane.

Si l’ouvrage porte globalement sur l’usage de la drogue dans la société allemande sous le IIIe Reich, les prescriptions folles dont Adolf Hitler a fait l’objet (le patient A), le chapitre sur la Blitzkrieg (« guerre éclair ») donne à voir l’usage et les effets spécifiques de cette substance chez les soldats.

« De l’euphorie souvent, une attention accrue, hausse sensible de l’efficacité. Le travail s’abat plus facilement, forte impression de vivacité, sensation de fraîcheur. Travail toute la journée, dépression effacée, retour à l’état normal5. »

Contrebalancée par des effets pervers chez certains sujets (apathie, dépression, addiction, syncope), l’absorption de la pervitine permet d’optimiser la performance : rester éveillé et opérationnel plus de 40 heures parfois.

En 1944-1945, alors que le IIIe Reich vacille, les psychostimulants qui galvanisaient ne servent plus qu’à tenir. Sur fond de naufrage, d’expérimentations humaines, se joue une quête effrénée de substances toujours plus puissantes. Dans l’après-guerre, les tests réalisés par les nazis seront mis à profit par l’armée américaine.

2 Edmund Russel, War and nature. Fighting humans and insects with chemicals from World War I to ‘silent spring’, Cambridge, CUP, 2011.

3 De nombreux travaux d’historiens existent sur la question et notamment Werner Pieper W (ed.), Nazis on speed. Drogen im 3. Reich, Löhrbach, Pieper and the Grüne Kraft, 2002 ; Stephen Snelders et Toine Pieters, « Speed in the Third Reich : metamphetamine (pervitine) use and a drug history from below », Social history of medecine, vol. 24, no 3, 2011, p. 686-699.

4 Thomas Guien, « Métamphétamine, opium…’L’extase totale’, récit d’une Allemagne nazie sous drogue dure », LCI, 1 octobre 2016.

5 Norman Ohler, L’extase totale, op.cit., p. 64.


L’extase totale – Le IIIe Reich, les Allemands et la drogue

Norman OHLER, ed. La Découverte, sept. 2016

le-iiie-reich-les-allemands-et-la-drogueLa drogue est la continuation de la politique par d’autres moyens : telle est sans doute l’une des leçons les plus méconnues du IIIe Reich… Découverte au milieu des années 1930 et commercialisée sous le nom de pervitine, la méthamphétamine s’est bientôt imposée à toute la société allemande. Des étudiants aux ouvriers, des intellectuels aux dirigeants politiques et aux femmes au foyer, les petites pilules ont rapidement fait partie du quotidien, pour le plus grand bénéfice du régime : tout allait plus vite, on travaillait mieux, l’enthousiasme était de retour, un nouvel élan s’emparait de l’Allemagne. Quand la guerre a éclaté, trente-cinq millions de doses de pervitine ont été commandées pour la Wehrmacht : le Blitzkrieg fut littéralement une guerre du « speed ». Mais, si la drogue peut expliquer les premières victoires allemandes, elle a aussi accompagné les désastres militaires. La témérité de Rommel, l’aveuglement d’un Göring morphinomane et surtout l’entêtement de l’état-major sur le front de l’Est ont des causes moins idéologiques que chimiques. Se fondant sur des documents inédits, Norman Ohler explore cette intoxication aux conséquences mondiales. Il met notamment en lumière la relation de dépendance réciproque qui a lié le Dr Morell à son fameux « Patient A », Adolf Hitler, qu’il a artificiellement maintenu dans ses rêves de grandeur par des injections quotidiennes de stéroïdes, d’opiacés et de cocaïne. Mais, au-delà de cette histoire, c’est toute celle du IIIe Reich que Ohler invite à relire à la lumière de ses découvertes.


(de) « Brevet de la Pervitine, du 31 octobre 1937, accordé à Temmler » [archive] [PDF], sur amphétamines.com,‎ 31 octobre 1937

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Soldats allemands dopés aux amphétamines

Le sujet a été longtemps tabou. Les soldats de la Wehrmacht étaient dopés à la pervitine, la «pilule de Göring».

Quand ils envahissent la France ou l’URSS au cours de marches forcées, les soldats de la Wehrmacht sont souvent dopés par une «pilule magique», la pervitine qu’on appelle aussi la «pilule de Göring». Mais d’où vient cette pervitine et quel usage en a exactement fait l’Allemagne hitlérienne. Le documentaire diffusé sur Arte s’intéresse à cette amphétamine encore en usage actuellement.

Après de premières recherches au Japon et aux États-Unis dans les années 1920, c’est en Allemagne, en 1937, qu’un chimiste arrive à synthétiser une amphétamine particulièrement efficace, la méthamphétamine. Elle est commercialisée la même année par la firme Temmler sous le nom de pervitine. Très vite, les médecins de la Wehrmacht s’intéressent à ce nouvel excitant du système nerveux qui accroît la vigilance, la résistance à la fatigue et le sentiment d’invincibilité. Distribuée aux conducteurs de chars et aux pilotes d’avions aussi bien qu’aux fantassins, la « pilule magique » permet à l’armée allemande d’envahir la France et l’URSS à marche forcée. Et, dans les derniers moments du Reich, de faire tenir les recrues des Jeunesses hitlériennes qui, après l’école, sont mobilisées dans la défense antiaérienne. Dans ce documentaire de Sönke el Bitar, réalisé en 2010, les témoins de cette époque révèlent aussi que, tant dans l’armée que dans la population civile, la consommation de pervitine en Allemagne s’est prolongée bien au-delà de la fin des hostilités. On notera que la pervitine est répertoriée par la convention sur les substances psychotropes de 1971. Au Canada, elle est pénalement classée au même rang que la cocaïne et l’héroïne.

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