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Un transhumanisme français : la théorisation d’un transhumanisme plus social

L’Association française transhumaniste, AFT Technoprog, revendique une place particulière dans la nébuleuse transhumaniste en affirmant son attachement à un « technoprogressisme », une position soutenant une rencontre entre développement technologique et progrès social. Selon les adeptes du technoprogressisme, le progrès se doit de se concentrer non seulement sur la science et la technologie, mais aussi sur les questions éthiques et sociales. Le développement technologique est, selon les technoprogressistes, indispensables pour voir advenir une meilleure démocratie et une culture plus civique.

Bien que se revendiquant d’un transhumanisme « démocratique de gauche » tel que développé par James Hughes dans son livre Citizen Cyborg, l’association affirme sa volonté de se détacher du mouvement libéral des origines. Certains des aspects les plus utopistes du transhumanisme sont ainsi mis de côté, tout en insistant sur la nécessité d’une critique rationnelle et d’une rigueur scientifique dans la démarche transhumaniste. Les travaux de l’association s’inscrivent ainsi dans la volonté d’accéder à une certaine respectabilité et de se détacher de toute accusation de sectarisme, l’aspect trop futuriste de certaines projections transhumanistes tendant à entraver une réelle approche sur les enjeux potentiels des technologies. Dans le souci d’être pris aux sérieux dans le débat publique et dans les choix de société, l’association s’éloigne de l’aspect utopiste et fictionnel caractérisant une partie du transhumanisme américain, et fait un partage entre l’hypothétique et le faisable : l’uploading n’est pas une des priorités de l’AFT, qui ne promeut pas non plus la cryogénisation. Quant à la singularité, elle ne fait pas consensus parmi les membres, Marc Roux estime ainsi peu concevable que l’émergence d’une Intelligence artificielle se fasse d’ici vingt à trente ans et remet en cause les principales prises de positions de Ray Kurweil.

Le transhumanisme français présente ainsi une particularité, une spécificité dans la nébuleuse transhumaniste. Tout en faisant l’affirmation d’un « techno-progressisme », elle souligne la volonté d’établir un transhumanisme plus modéré et mieux adapté aux schémas culturels français, mais aussi européens, fondés sur la solidarité et sur un modèle social plus égalitaire. Marc Roux, ancien militant d’extrême gauche, fait la promotion d’un transhumanisme aux dimensions françaises, fondé sur le souci de l’équilibre social, où l’intégration technologique se fait pour le bien de la société. Ainsi, les statuts de l’AFT Technoprog affirment l’attachement de l’association aux valeurs fondamentales de la République en les intégrant dans la philosophie transhumaniste française. La devise de la République française est ainsi reprise à l’occasion du préambule des statuts de l’association, tout en les adaptant aux enjeux transhumanistes : les membres de l’AFT Technoprog y expriment leur attachement à la liberté, à l’égalité « en droit et en dignité entre tous les êtres conscients », à la fraternité « en tant que principe qui reconnaît la nécessaire contribution de tous aux besoins élémentaires de chacun dans une communauté comme la société humaine » , et également à la rigueur scientifique.

L’AFT Technoprog se pose avant tout les questions relatives aux progrès technologiques dans leur ensemble, les questions éthiques quant à la progression des nouvelles technologies. Les sciences et les technologies créant de nouvelles possibilités, leurs conséquences sur l’humain sont inévitables selon l’AFT Technoprog. Les questionnements sur les risques sont ainsi particulièrement mis en avant en France comme l’en atteste la dernière conférence organisée en janvier 2012 par l’association qui, intitulée « Futurs transhumanistes : paradis ou enfer ? », envisage de saisir les risques globaux engendrés par une hypothétique évolution transhumaniste. De manière générale, l’association met en avant la volonté de s’ouvrir le plus possible sur toutes les questions ouvertes par les progrès technologiques, jugeant celles- ci confisquées depuis trop longtemps par les pouvoirs économiques et politiques. Défendant la question de la liberté individuelle, il s’agit pour l’association Technoprog d’assurer aux individus un accès libre et démocratique aux nouvelles technologies. Les spéculations de certains membres de l’AFT abordent ainsi la possibilité d’une société libre permise par les technologies et la mise en place de réseaux électroniques menant à une société exercée selon les principes du « bottom up« , une société sans gouvernement, bénéfique à la liberté individuelle. L’association veut ainsi permettre la diffusion d’une information fiable aux individus et sensibiliser le public à des questions qui deviendront très vite incontournables pour l’ensemble de la population, mais aussi de démocratiser l’accès aux nouvelles technologies et d’éviter ainsi un accaparement de ces dernières au profit d’une minorité de riches privilégiés.

L’association ambitionne de restituer le débat des nouvelles technologies au niveau citoyen. A cet effet, elle permet à ses adhérents de prendre part à différents débats publics, notamment lors de la révision de la loi de bioéthique, dans le cadre des Etats Généraux de la bioéthique en 2009 au cours de laquelle l’AFT Technoprog apporte sa contribution en se positionnant explicitement en faveur d’une libéralisation de la bioéthique française , et également au cours du grand débat public sur les nanotechnologies d’octobre 2009 à février 2010 pour lequel l’association établit un cahier d’acteur. Ecouté à l’occasion de débats publics liés aux avancées technologiques, l’association française transhumaniste représente donc aujourd’hui un acteur officiellement reconnu dans l’espace publique.

L’association multiplie à cet effet ses interventions dans les différents médias pour faire entendre son point de vue et dépasser les polémiques engendrées par une méconnaissance du transhumanisme. En effet la réception des thèses transhumanistes est en grande partie victime de la machine médiatique, les médias recherchant principalement le sensationnel, et les journalistes ayant peu conscience du caractère polymorphe du mouvement. Dès lors, communiquer devient un enjeu important pour l’association qui ne veut pas prendre le risque d’être assimilée à ses homologues américains. Depuis sa création, l’association élargit ainsi sa présence médiatique à travers des émissions de radio, à travers la participation à des présentations télévisées du transhumanisme et dans la presse. Sur Internet, de nombreux articles et commentaires sont postés sur divers blogs à l’initiative de l’association qui participe par ailleurs à une chronique bimensuelle sur Silicon Maniacs, un dispositif médiatique propulsé en décembre 2010 par l’association Silicon Sentier, une association d’entrepreneurs technologiques.

L’AFT Technoprog s’inscrit également dans une volonté de cohésion européenne du mouvement transhumaniste en participant à l’élaboration de structures de coordination du transhumanisme à l’échelle européenne. En effet, une bonne part du transhumanisme européen est critique envers le transhumanisme tel qu’il est conçu outre atlantique et outre-manche, notamment à cause du néo-libéralisme qui le caractérise et de son aspect trop utopiste. Les transhumanistes européens cherchent ainsi à assurer une cohésion entre leurs mouvements pour affirmer leur présence face au transhumanisme américain. L’AFT Technoprog participe ainsi à la publication de dossier spéciaux « transhumanisme » sur le webzine international re-Public, un journal en ligne se concentrant sur les développements innovants dans la pratique et la théorie politique contemporaine, et à plusieurs sommets et évènements transhumanistes européens.

Extrait du Mémoire : le transhumanisme en France, Manon DEBOISE, Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III, Institut d’études politiques – Année 2011/2012

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